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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Le vêtement
Article mis en ligne le 26 novembre 2019

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Si les maisons sont considérées comme patrimoine commun de la cité, et si l’on procède au rationnement des denrées, on sera forcé de faire un pas de plus. On sera amené nécessairement à considérer la question du vêtement ; et la seule solution possible sera encore de s’emparer, au nom du peuple, de tous les magasins d’habits et d’en ouvrir les portes à tous, afin que chacun puisse y prendre ce dont il a besoin. La mise en commun des vêtements, et le droit pour chacun de puiser ce qu’il lui faut dans les magasins communaux, ou de le demander aux ateliers de confection, cette solution s’imposera dès que le principe communiste aura été appliqué aux maisons et aux denrées.

Evidemment, nous n’aurons pas besoin, pour cela, de dépouiller tous les citoyens de leurs paletots, de mettre tous les habits en tas pour les tirer au sort, ainsi que le prétendent nos critiques, aussi spirituels qu’ingénieux. Chacun n’aura qu’à garder son paletot, - s’il en a un ; et il est même fort probable que s’il en a dix, personne ne prétendra les lui enlever. On préférera l’habit neuf à celui que le bourgeois aura déjà promené sur ses épaules, et il y aura assez de vêtements neufs pour ne pas réquisitionner les vieilles garde-robes.

Si nous faisions la statistique des vêtements accumulés dans les magasins des grandes cités, nous verrions probablement qu’à Paris, Lyon, Bordeaux et Marseille, il s’en trouve assez pour que la Commune puisse offrir un vêtement à chaque citoyen et à chaque citoyenne. D’ailleurs, si tout le monde n’en trouvait pas à son goût, les ateliers communaux auraient bientôt comblé les lacunes. On sait avec quelle rapidité travaillent aujourd’hui nos ateliers de confection, pourvus de machines perfectionnées et organisées pour la production sur une vaste échelle.

 " Mais tout le monde voudra avoir une pelisse en zibeline, et chaque femme demandera une robe de velours ! " s’écrient déjà nos adversaires.

Franchement, nous ne le croyons pas. Tout le monde ne préfère pas le velours, et tout le monde ne rêve pas une pelisse en zibeline. Si aujourd’hui même on proposait aux Parisiennes de choisir chacune sa robe, il y en aurait qui préféreraient une robe simple à toutes les parures fantaisistes de nos mondaines.

Les goûts varient avec les époques, et celui qui prendra le dessus au moment de la révolution sera certainement un goût de simplicité. La société, comme l’individu, a ses heures de lâcheté ; mais elle a aussi ses minutes d’héroïsme. Si misérable qu’elle soit lorsqu’elle s’embourbe, comme maintenant, dans la poursuite des intérêts mesquins et bêtement personnels, elle change d’aspect aux grandes époques. Elle a ses moments de noblesse, d’entraînement. Les hommes de coeur acquièrent l’ascendant qui est dévolu aujourd’hui aux faiseurs. Les dévouements se font jour, les grands exemples sont imités ; il n’y a pas jusqu’aux égoïstes qui ne se sentent honteux de rester en arrière et, bon gré, mal gré, ne s’empressent de faire chorus avec les généreux et les vaillants.

La grande révolution de 1793 abonde en exemples de ce genre. Et c’est pendant ces crises de renouveau moral, - aussi naturel chez les sociétés que chez les individus, - que l’on voit ces élans sublimes qui permettent à l’humanité de faire un pas en avant.

Nous ne voulons pas exagérer le rôle probable de ces belles passions, et ce n’est pas sur elles que nous tablons notre idéal de société. Mais nous n’exagérons rien si nous admettons qu’elles nous aideront à traverser les premiers moments, les plus difficiles. Nous ne pouvons pas compter sur la continuité de ces dévouements dans la vie quotidienne ; mais nous pouvons les attendre aux débuts, - et c’est tout ce qu’il faut. - C’est précisément lorsqu’il faudra déblayer le terrain, nettoyer le fumier accumulé par des siècles d’oppression et d’esclavage, que la société anarchiste aura besoin de ces élans de fraternité. Plus tard, elle pourra vivre sans faire appel au sacrifice, puisqu’elle aura éliminé l’oppression et créé, par cela même, une société nouvelle ouverte à tous les sentiments de solidarité.

D’ailleurs, si la révolution se fait dans l’esprit dont, nous parlons, la libre initiative des individus trouvera un vaste champ d’action pour éviter les tiraillements de la part des égoïstes. Des groupes pourront surgir dans chaque rue, dans chaque quartier et se charger de pourvoir au vêtement. Ils feront l’inventaire de ce que possède la cité révoltée et connaîtront, à peu de chose près, de quelles ressources en ce genre elledispose. Et il est fort probable que, pour le vêtement les citoyens de la cité adopteront le même principe que pour les denrées : - " Prise au tas pour ce qui se trouve en abondance ; rationnement pour ce qui se trouve en quantité limitée ".

Ne pouvant offrir à chaque citoyen une pelisse en zibeline et à chaque citoyenne une robe de velours, la société distinguera probablement entre le superflu et le nécessaire. Et - provisoirement, du moins - elle rangera la robe de velours et la zibeline parmi les superflus, quitte à voir peut-être par la suite si ce qui est objet superflu aujourd’hui ne peut pas devenir commun demain. Tout en garantissant le nécessaire à chaque habitant de la cité anarchiste, on pourra laisser à l’activité privée le soin de procurer aux faibles et aux malades ce qui sera provisoirement considéré comme objet de luxe ; de pourvoir les moins robustes de ce qui n’entre pas dans la consommation journalière de tous.

 " Mais c’est le nivellement ! L’habit gris de moine ", nous dira-t-on. " C’est la disparition de tous les objets d’art, de tout ce qui embellit la vie ! "

 Certainement, non ! Et, nous basant toujours sur ce qui existe déjà, - nous allons montrer tout à l’heure comment une société anarchiste pourrait satisfaire aux goûts les plus artistiques de ses citoyens sans pour cela leur allouer des fortunes de millionnaires.