Le FHAR est formellement créé au lendemain d’une intervention de Guy Hocquenghem et d’une poignée de militants présents Salle Pleyel d’où le 10 mars 1971, était diffusée une émission de radio (sur RTL), animée par Ménie Grégoire, intitulée, L’homosexualité, ce douloureux problème ! ... RTL dû reprendre l’antenne à la suite du désordre provoqué, les manifestants ayant jugé homophobe le ton de l’émission où intervenaient des « autorités morales », comme des prêtres et des psychanalystes. Dès sa création, le FHAR est un mouvement mixte, parmi lequel on compte des égéries lesbiennes et des militantes féministes, telles les écrivaines, Françoise d’Eaubonne ; Christine Delphy et Monique Wittig. Mais au fil du temps, les hommes deviennent majoritaires, rejoints par des intellectuels comme René Schérer ; Daniel Guérin ; Pierre Hahn ; Laurent Dispot et à l’époque de simples militants, comme la transexuelle, Hélène Hazera, Jean Le Bitoux, Patrick Schindler et Yves Hernot, etc. Il est important de souligner une présence non négligeable de militants anarchistes ou sympathisants au sein du FHAR, qui y imposent notamment, la démocratie directe et le rejet du vedettariat. J’ai eu l’occasion, tandis que j’étais jeune militant, d’assister à la fameuse scène mémorable où Daniel Guérin ou Françoise d’Eaubonne se sont déshabillés sur la scène du grand amphithéâtre des Beaux-Arts, afin de « vivre jusqu’au bout » leurs convictions sur la libération des corps. Cependant, des divergences de stratégie ne tardent pas à voir le jour, tandis que la présence de plus en plus nombreuse d’hommes, pousse les femmes à s’éloigner du mouvement et à créer à l’initiative de Monique Witting, le groupe des Gouines rouges qui se rallie ensuite progressivement au Mouvement de libération des femmes (MLF). Interviewés pour le Monde libertaire en juin 2011, deux de ses ancien(ne)s militant(e)s libertaires, Hélène Hazera et Patrick Schindler reviennent sur le contexte de l’époque, la création du FHAR et son héritage, tout en tentant de répondre à la question :
Photo : Une réunion du FHAR aux Beaux-Arts de Paris,
Que reste-t-il du FHAR quarante ans après ?
<exergue|texte={{la devise des homos était plutôt : « Pour vivre heureux, vivons cachés ! »}} |position=left|>« Avant le FHAR, il n’y avait rien ou presque ! Avant 68, l’homosexualité était encore taboue en France, et Arcadie et son mensuel étaient la seule et unique voix d’expression des gays. La revue, qui permettait de faire partie de l’association avait été créée par André Baudry, avec le soutien de Roger Peyrefitte et de Jean Cocteau. Elle fut interdite aux mineurs dès 1954, et censurée. En 1960, à la promulgation de l’amendement Paul Mirguet comptant l’homosexualité parmi les « fléaux sociaux », les petites annonces et les photographies furent supprimées. Autant dire qu’à cette époque, la devise des homos était plutôt : « Pour vivre heureux, vivons cachés ! » Il fallut attendre Mai 1968 pour que deux militants rédigent un texte-affiche signé Comité d’action pédérastique révolutionnaire, dont huit furent collées sur les murs de la Sorbonne. Le lendemain, elles avaient disparu. Cependant, un millier de tracts en reproduisant le texte furent distribués à l’Odéon et dans les « tasses », de Paris (à l’époque, les tasses ou vespasiennes, étaient les seuls lieux de drague accessibles à Paris et dans les grandes villes avec quelques parcs et jardins). Pendant quelques années, il ne se passa plus rien en France.
La révolte de Stonewall
En revanche, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’en 1969 éclatent les fameuses émeutes de Stonewall. Dans la nuit du 27 au 28 juin, la police new-yorkaise opère des descentes musclées dans les bars gays de Greenwich Village. Quand elle investit le Stonewall Inn, établissement installé à Christopher Street, les clients se rebellent. Des passants se joignent à eux, la foule grossit et les forces de l’ordre sont obligées de se barricader dans l’établissement en attendant les renforts. Suivront une série de manifestations spontanées et violentes qui durèrent cinq jours et cinq nuits, « Comme si toutes les brimades endurées par les homosexuels durant des siècles ressurgissaient subitement »… Ces événements sont souvent considérés comme le premier exemple de résistance des gays, des lesbiennes et des transexuelles contre l’homophobie aux États-Unis et partout dans le monde. Un an plus tard, les militants gays de New York organisent une marche pour commémorer l’événement : ce sera la première Gay Pride (Marche pour la fierté homosexuelle).
Femmes et « pédales » mêmes ennemis, même combat !
Retour en France : le 26 août 1970, des militantes féministes « Rendent les honneurs à la femme du soldat inconnu ». En septembre de la même année, à la suite d’un numéro de la revue Partisans consacré à la libération des femmes, un certain nombre de lesbiennes militantes rejoignent ce petit groupe qui n’a pas encore de nom officiel et sont bientôt suivies par un certain nombre d’homosexuels hommes. Le groupe devenu mixte participe activement au sabotage du meeting organisé par le professeur Lejeune, le « conseiller scientifique » de l’association anti-IVG, Laissez-les-vivre. Un mois plus tard, le 10 mars 1971, [comme déjà évoqué plus haut], salle Pleyel, a lieu une intervention du tout jeune Mouvement de Libération des Femmes (MLF) et de militant(e)s homosexuel(le)s des deux sexes, contre l’émission publique de Ménie Grégoire L’homosexualité ce douloureux problème sur Radio Luxembourg. L’estrade est envahie et les orateurs s’enfuient sous les cris de « À bas les hétéroflics » et « Les travelos avec nous ». En mai 1971, paraît le premier des six numéros du journal Le Torchon brûle, édité par le MLF jusqu’en 1973.
Création du FHAR sur un mode libertaire
Malgré la présence de quelques homosexuels masculins tolérés dans certaines AG, le MLF est non mixte et la question du désir lesbien et de l’homosexualité a du mal à émerger. De ce fait, plusieurs militantes du MLF participent avec les militants gays à l’émergence du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) en mars 1971, rejoints par des militantes des Gouines rouges, un groupe qui constitue la liaison entre le MLF et le FHAR. Le FHAR est donc issu d’un rapprochement entre des féministes lesbiennes et des activistes gays et marque la naissance de l’image de « la folle – ou la goudou – revendicative » (en opposition à « la folle – ou la goudou – honteuse », versus Arcadie), à la fois sur les plans de la sexualité et du genre. Les militants du FHAR portent leur critique sur toutes les formes de contraintes sociales (la normalité, la famille, la domination masculine, les « hétéro-flics » et les « homo-flics »). Le fonctionnement du groupe s’appuie sur une pratique politique anti-autoritaire, la « fierté communautaire », (qui à l’époque n’avait pas une image négative) et l’action de rue. Au FHAR, il n’y a pas de chef, pas de comité directeur, pas de porte-parole. Les principales activités du groupe consistent en des distributions de tracts dans les boîtes homosexuelles et les réunions hebdomadaires dans un amphithéâtre des Beaux-Arts, ou des interventions à la faculté libre de Vincennes. Au plan théorique, des groupes de travail et de réflexion sont constitués autour de plusieurs thématiques.
Un mouvement trop voyant pour l’Etat
Sans se revendiquer comme leaders, l’écrivain et coauteur avec Félix Guattari de Trois milliards de pervers, Guy Hocquenghem et l’écrivaine et cofondatrice du MLF, Françoise d’Eaubonne sont les deux principales figures qui animent le mouvement. Lors des réunions aux Beaux-Arts, on croise également la chercheuse du CNRS, Christine Delphy, spécialisée dans le féminisme et les questions de genre, l’écrivain communiste-libertaire Daniel Guérin ou encore, René Schérer, le philosophe fouriériste proche de Gilles Deleuze, ect. Fort de cette ‘petite armée’ intellectuelle mais pacifique, en avril 1971, le FHAR participe à la rédaction du journal Tout – ce que nous voulons : la révolution, et obtient un quatre pages où le mouvement a la possibilité de s’exprimer librement (c’est à la suite de ce numéro que beaucoup de jeunes homosexuel(le) rejoignent le FHAR). Le groupe décide, entre autre, de publier un manifeste inspiré de celui des 343 salopes avorteuses, avec un préambule choc : « Nous sommes plus de 343 salopes. Nous nous sommes fait enculer par des Arabes. Nous en sommes fiers et nous recommencerons. » Les pouvoirs publics s’émeuvent de sa large diffusion… Le numéro est saisi et Jean-Paul Sartre (responsable légal de la revue) est poursuivi pour y avoir publié une déclaration. Finalement, un arrêt du Conseil d’État déclare inconstitutionnelles les atteintes à la liberté d’expression et fait cesser les poursuites.
1er mai 1971 : le FHAR au milieu des syndicats
Le 1er mai 1971, pour la première fois de l’histoire, des hommes, des femmes et des transsexuelles défilent fièrement et joyeusement, sans service d’ordre, avec à leur tête une simple banderole en toile blanche bombée du nom du FHAR, tandis que les militants massés derrière scandent : « Les pédés dans la rue », « Nous sommes tous un fléau social », ou encore, « Nous ne sommes pas des poupées, phallocratie : à bas ! ». Les réactions sont mitigées, plutôt récalcitrantes du côté des syndicats et, selon mes propres souvenirs, plutôt amusées du côté des libertaires, à l’époque la Fédération anarchiste (FA) – dont je faisais également partie, tout en ne cachant pas mon appartenance au FHAR – et l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Des gros bras de la CGT essayent de nous interdire la manif, mais, instinctivement, suivis par les comités de lycéens, nous emboîtons le pas à la FA, qui entre également en force (comme chaque année) dans le cortège syndical, et nous lui collons derrière !… Un scénario qui se reproduira tous les ans. Peut-être cette longue histoire explique-t-elle aussi les liens noués avec des associations comme Act Up-Paris, qui défileront pendant des années aux côtés des organisations anarchistes le 1er mai.
Qui trop embrasse mal étreint !
À la suite aux quatre pages parues dans le journal Tout et à la manifestation du 1er mai, le FHAR prend rapidement de l’ampleur et de l’importance. Une dizaine de comités de quartier sont créés et fonctionnent, ainsi que dans différentes villes de l’Hexagone, notamment à Marseille, où des militants organisent plusieurs actions. Le courrier afflue, surtout de province. Le 27 juin 1971, les militants du FHAR se joignent aux féministes pour fêter l’anniversaire de la fondation du Groupe de libération des femmes, au jardin des Tuileries. Mais la fête militante est interrompue par l’arrivée massive des flics qui interpellent et embarquent quatre participants. Cependant, les réunions hebdomadaires continuent aux Beaux-Arts, mais la prédominance numéraire des hommes commence à agacer les féministes et les lesbiennes qui ont l’impression que leurs spécificités sont occultées, et finit par amener à la scission. Les lesbiennes et des femmes du FHAR constituent formellement le groupe des Gouines rouges, qui a pour objectif d’orienter plus spécifiquement leur lutte contre le sexisme et la phallocratie. C’est une époque où d’autres fractions se singularisent, comme Les Gazolines par des actions provocatrices et où naissent la revue théorique situationniste Le Fléau social et la revue L’Antinorme, qui explique dans son premier numéro : « Être militant au FHAR, c’est revendiquer notre liberté physique et morale par la destruction des lois de la société en place et des tabous de la religion judéo-chrétienne. » C’est dans cette optique qu’il faut interpréter le défi lancé aux mœurs par certain(e)s militant(e)s s’étant mis à poil dans l’amphi de Beaux-Arts au cours d’une Assemblée Générale. Ce geste symbolique avait pour objectif de se vouloir un acte libérateur visant à une égalisation des rapports : « La nudité estompant les critères apparents de richesse déduits de l’habillement », une tentative de destruction des notions bourgeoises selon lesquelles « Il y a d’un côté une belle jeunesse qui doit se taire, et de l’autre des vieux, compensant leur « laideur » par l’exercice du droit à la parole et du pouvoir et enfin, une pratique révolutionnaire attaquant sur un mode radical les lois antisexuelles de notre société qui se fondent uniquement sur des critères idéalistes : la pudeur, ou les bonnes mœurs ». Pour leur part, les militants du FHAR publient en 1971 un Rapport contre la normalité et se collent à l’écriture d’un épais numéro spécial de la revue Recherches dirigée par Félix Guattari, qui ne paraît qu’en 1973.
Bientôt l’heure des scissions
Bien que tous ces groupes se reconnaissent dans les slogans du FHAR : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! », « Lesbiennes et pédés, arrêtons de raser les murs ! » et la lutte contre les « hétéro-flics », ils finissent par prendre leurs distances les uns par rapport aux autres. D’autres conflits s’amorcent, notamment celui concernant les positions (non majoritaires) du FHAR sur le droit à la libre sexualité pour les mineurs. Les Gazolines sont un autre point de discorde. En effet, leur groupe situationniste pousse la logique de la provocation à l’extrême et interroge la structuration du pouvoir à l’intérieur du FHAR, selon elles, détenu par quelques intellectuel(le)s, tout en pointant du doigt la rigidité morale des militants d’extrême gauche. Ainsi, apparaissent-elles voilées de noir à l’enterrement de Pierre Overney, militant maoïste tué par un vigile en 1972, en scandant « Liz Taylor, Overney, même combat ! ». Cette performance suscite la colère des organisations d’extrême gauche qui reprochent au FHAR son manque de tenue et son manque de sérieux… Si les Gazolines ont atteint leur but, c’est-à-dire rendre visibles les limites de l’extrême gauche en matière de sexualité, elles provoquent la démission de Daniel Guérin qui quitte le FHAR, à cause de leurs outrances durant l’enterrement de Pierre Overney. Pour sa part, Françoise d’Eaubonne quitte également le Front, n’y voyant plus qu’un « vulgaire lieu de drague ». Après trois ans d’existence et de militance, c’est en février 1974 que la police interdit les réunions à l’école des Beaux-Arts, et que le FHAR, après avoir fait bouger bien des choses, abandonne ses actions spectaculaires.
Quel héritage pour le FHAR ?
Cependant, le FHAR a fait des petits ! Ses héritiers sont les Groupes de libération homosexuels (GLH), la plupart situés en province, le GLH-PQ (politique et quotidien) et les groupes Sexpol (sexe et politique), qui ont autant d’histoires propres. Leurs objectifs et revendications, issus du FHAR, perdureront à travers les associations homosexuelles des années 1980, comme les Universités d’été euro-méditerranéennes des homosexualités et le CUARH ou la création de la revue Gai Pied. Malgré les ravages causés par les années sida, les côtés radicaux et politisés du FHAR seront repris par les mouvements lesbiens, gay, bi et trans, inspirant en partie le courant queer, aux États-Unis et en France. Sur un autre registre, Act Up-Paris sera créé en 1989 et se démarquera en proposant une nouvelle forme militante : « le pédé séropositif », qui marquera une rupture générationnelle. Pour autant, si le premier objectif d’Act Up est la lutte contre l’épidémie, l’association ne reniera jamais, mais au contraire continuera à s’appuyer sur la « figure de la folle » fortement revendicative sur le plan de la sexualité et, en quelque sorte par extension, sur l’identité des personnes séropositives. Au fur et à mesure de son existence, l’association deviendra mixte et radicalisera son discours politique, avec des actions toujours non violentes, gardant en son sein une poignée de militants anarchistes. Ces derniers seront les garants d’une pratique issue du FHAR : les décisions sont prises en assemblée générale, qui a lieu tous les jeudis dans un amphithéâtre des Beaux-Arts, en souvenir des plus belles années du FHAR »…
Aujourd’hui, avec le PACS et le mariage pour tous, il semble que la lutte homosexuelle s’est non seulement « gentrifiée », mais est surtout beaucoup moins radicale et révolutionnaire. Cela dit, toutes les avancées sociales ne sont pas sans lien avec le combat commencé avec le FHAR. On peut espérer qu’il ne fasse que se radicaliser et s’inscrire dans une lutte sociale globale pour l’émancipation de tout(e)s les individu(e)s.
Patrick Schindler, militant de la Fédération anarchiste et ancien militant du FHAR
Quelques pistes de lecture à propos du FHAR :
– Masques, revue des homosexualités, no 9-10, Paris, 1981.
– Françoise d’Eaubonne, Le FHAR, origines et illustration, la Revue h, no 2, 1996 ; Tensions et déclins, la Revue h, no 3, Hiver 1996/1997.
– Patrick Schindler, Après 1968 : Le big bang des mouvements d’émancipation homosexuelle, Alternative libertaire mai 2008.
– Michael Sibalis, L’arrivée de la libération gay en France. Le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) - Genre, sexualité & société, no 3, printemps 2010.
– Patrick Cardon, Rapport contre la normalité 1971, Bibliothèque Gay Kitsch Camp, 2013.
– Mathias Quéré, Qui sème le vent récolte la tapette », une histoire des Groupes de libération homosexuels en France de 1974 à 1979, mémoire en histoire contemporaine, Université Toulouse-Jean-Jaurès, 2016.