Bandeau
Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
Descriptif du site
Instituteurs de la 3e République : Les hussards noirs de la République
Bernard Perret
Article mis en ligne le 5 avril 2020
dernière modification le 23 avril 2020

Bien que noir, un hussard reste un guerrier.

Il ne s’agit pas ici de parler des hussards, cavaliers hongrois. Ni des cavaliers du Cadre noir de Saumur.

Hussards noirs ! 1913, c’est adulte que Charles Péguy, dans son essai L’Argent, désigna ainsi les élèves normaliens qu’il côtoyait lorsque lui-même fréquentait l’école annexe (lieu où de jeunes êtres humains enfants servent de cobayes à de jeunes êtres humains adultes en passe de devenir instituteurs) de leur École normale.

1913, en France le 7 août, la loi Barthou fixe la durée du service militaire à 3 ans soit 675.000 hommes mobilisés. Dans l’article 16 de cette loi il est stipulé :

« Les élèves des écoles normales et les instituteurs seront, pendant leur présence sous les drapeaux, astreints à un séjour minimum de trois mois à l’École normale de gymnastique. »

Avant 1872, L’école normale de gymnastique (et d’escrime) s’appelait l’École normale militaire de gymnastique de Joinville. Les moniteurs militaires qui y étaient formés allaient ensuite professer dans les écoles publiques où l’obligation de gymnastique et l’absence de formation à l’éducation physique des instituteurs leur donnaient toute opportunité de mise au pas - de gymnastique – des jeunes élèves.

Est-ce dire que les instituteurs laissaient l’armée jouer aux petits soldats avec les jeunes enfants ?

Dans de nombreuses villes, les élus acceptaient, favorisaient ou encourageaient les « bataillons scolaires » où les enfants apprenaient les rudiments du maniement des armes à feu. Les instituteurs n’avaient alors qu’à obtempérer. Certains, fort volontiers… A Toulouse entre 1890 et 1893, l’adjoint à l’Instruction publique du maire radical supprima ces « bataillons ». Il s’appelait Jean Jaurès. Mais si Jaurès était défavorable aux armes entre les mains des enfants

il était, par contre, un farouche partisan de l’éducation militaire des enfants : « L’éducation militaire de la nation n’est pas faite. Elle est à peine ébauchée ; l’essentiel y manque encore, le souci direct, passionné et constant de la nation elle-même pour sa propre sécurité. » L’armée nouvelle, Jean Jaurès. 1910.

Education militaire + exaltation du patriotisme + entretien de l’esprit revanchard = guerre à venir

Exaltation du patriotisme dans les écoles publiques ? Tout concourait dans ce sens. Publié en 1877, un livre, Le tour de France par deux enfants de G. Bruno, va distiller, durant 121 chapitres, l’amour de la France. Chaque chapitre étant précédé d’une petite maxime, petite leçon de morale républicaine.

Car l’époque est aux leçons de morale républicaine :

 4e Leçon (tiré d’un manuel scolaire de « leçons de morale » du début du XXe siècle) : Devoir envers la Patrie. Vous devez aimer la Patrie ; c’est votre premier devoir. Vous devez penser dès maintenant avec joie, qu’un jour, quand vous serez devenus grands, il faudra que vous la serviez et que vous la défendiez, si les habitants des autres pays l’attaquaient.

 « 34e maxime : nous aimons la terre qui nous a vu naître comme nous aimons notre mère.  »

 « 44e maxime : tu n’oublieras jamais que ta mère est la France. »

 « 43e maxime : Il est beau pour l’homme brave de tomber au premier rang en combattant pour sa Patrie. »

Leçon de morale conduite par des instituteurs laïques diffusant leur catéchisme patriotique à des enfants qui finiront par partir la fleur au fusil verser leur sang pour des capitalistes plus enclins aux leçons de calcul qu’aux leçons de morale.

Des exemples d’hommes braves tomber pour leur patrie ? Les enfants découvraient dans leurs manuels d’histoire Roland à Roncevaux, Bara qui, en 1793, contraint par des Chouans de crier « Vive le Roi ! » préfère mourir en criant « Vive la République ! »

Et dans toutes les classes, la carte de France amputée de l’Alsace et de la Lorraine…

Tandis que d’autres cartes montraient les pays annexés par la France…

Pour entretenir l’esprit revanchard  ? Que proposent les êtres humains adultes aux jeunes êtres humains enfants regroupés dans un lieu appelé école ? des lectures…

Les deux petits héros du livre Le tour de France par deux enfants sont deux petits orphelins lorrains décidés à quitter cette région annexée par la Prusse suite à la guerre perdue par la France en 1871.

Un autre texte aura également une place privilégiée dans les salles de classe : La dernière classe, nouvelle tirée des Contes du Lundi, Alphonse Daudet (1873). L’action se passe en Alsace après la défaite de 1871.

Alphonse Daudet prête à son personnage l’esprit patriotique que se devait d’avoir tout hussard noir :

[Extrait]…Pendant que je m’étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit : « Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »

Alphonse Daudet termine ainsi sa nouvelle

[Extrait] Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put : « VIVE LA FRANCE ! » Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main, il nous faisait signe : « C’est fini... allez-vous-en. »

Des lectures et des chansons. Surtout une :

Alsace et Lorraine plus connue sous le titre Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine écrite en 1871, au lendemain de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par la Prusse

[extraits] [

…] Pour égorger la France, notre mère,

Vous armeriez le bras de ses enfants !

Ah ! vous pouvez leur confier des armes,
C’est contre vous qu’elles leur serviront,
Le jour où, las de voir couler nos larmes,
Pour nous venger leurs bras se lèveront. […]

[…] Mais le grand jour où la France meurtrie
Reformera ses nouveaux bataillons,
Au cri sauveur jeté par la Patrie,
Hommes, enfants, femmes nous répondrons :
(Refrain) :
Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine,
Et malgré vous nous resterons Français ;
Vous avez pu germaniser la plaine,
Mais notre cœur, vous ne l’aurez jamais.

Chanson écrite par deux Alsaciens/Lorrains : Gaston Villemer, l’Ardéchois d’Annonay et Hippolyte Nazet le Méridional de Menton…

Bien que noir, un hussard reste un guerrier.
« Allez les enfants, c’est la fin de la leçon. Sortez-en silence, en rang par deux, jusqu’à Berlin… »

Le 3 août 1914 l’Allemagne déclare la guerre à la France. C’était un lundi. Les jeunes êtres humains enfants étaient en vacances. Les êtres humains adultes leur avaient donné rendez-vous à la rentrée…

Bernard Perret