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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Histoires de famille : Du sang sur les tapis de prière.
Genèse (Relire la ...Chapitre 3)
Dominique Morel
Article mis en ligne le 20 juillet 2020
dernière modification le 21 juillet 2020

Encore une histoire d’un chouchou « fayot ». Jacob a un faible pour son avant-dernier rejeton, Joseph qui rapporte à son père les méfaits et gestes de ses frérots. Jacob l’adore, ses frères le haïssent, situation classique.

Saison 3 : Difficile de ne pas voir dans cette situation, le très classique dualisme (honni du monothéisme) amour / haine dont la littérature et les psychopitreries feront leurs choux gras. Truisme biblique par excellence. Un jour les aînés gardent les moutons, le texte entre dans le vif du sujet « ils le virent à distance et, avant qu’il les eût rejoints, ils projetèrent de le tuer » (Gn 37, 18).

<exergue|texte={{Venez, tuons-le et jetons-le dans un puits}} |position=left|right|center>- Première constatation. « Vu à distance » montre bien que la suite est préméditée. L’éloignement permet de s’échauffer le sang à moindre risque et écarte l’émotionnel nuisible au complot.

 La fratrie vengeresse décide « Venez, tuons-le et jetons-le dans un puits…nous verrons bien, alors, ce que deviennent ses rêves ». (Gn 37, 20). Ruben, l’un des frangins réussit à persuader ses comparses de ne pas le tuer, mais de le jeter dans le puits où il mourra de lui-même, avec l’idée de revenir le sauver en douce. Un autre frère, Juda, propose de le vendre comme esclave aux Égyptiens, ce qui sera fait.

 Ruben et Juda préfigurent le jésuitisme et la casuistique pure : se débarrasser d’un problème sans mettre les mains dans le sang. Le crime parfait sans la mise à mort, le stade ultime de la finesse assassine. Au passage, le narrateur n’oublie pas ne préciser que Joseph est un rêveur. On a frôlé le drame grecque de type œdipien. La tragédie n’aboutit pas, nous restons dans l’univers moyen-oriental toujours tourné vers le futur. L’histoire n’est pas terminée.

 Joseph devient le majordome de Potifar, membre de la cour de Pharaon. Une histoire classique de cul avec la femme du nobliau tourne mal (accusation de viol par l’amante éconduite). Il est jeté en prison où il démontre ses talents d’organisateur. En cellule, il interprète correctement les rêves de deux compagnons d’infortune (l’un est l’échanson de Pharaon). De retour à la cour le caviste est témoin du trouble de Pharaon qui fait des rêves perturbants (sécheresse et pénurie). L’ex-taulard se souvient de son compagnon oniromancien et Joseph fait une interprétation convaincante des rêves pharaoniens : sept années de famine et il préconise de commencer à faire des réserves stratégiques, soit un cinquième des récoltes des années d’abondance. Joseph est promu vice-roi et revêtit les habits royaux, il devient Tsaphnat-Pa’neah, il épouse une Égyptienne, Asenath, fille d’un prêtre de la cour.

 L’oniromancie, pratique divinatoire connue rentre en scène. Voilà, Sigmund dépossédé de son invention majeure, de quoi devenir allergique aux Saintes-Écritures et privilégier le mythe grec avec ses envolées tragiques. D’autre part, le bibliste nous refait le coup du récit d’éviction qui tourne mal, décidément la Genèse joue avec nos nerfs. Rien ne va plus, sous le soleil de Satan. Le banni et trahi monte en grade, trahison du projet initial. Oui, mais… ! Que les béotiens retiennent leur souffle, le feuilleton s’accélère. (La technique narrative aura de beaux jours devant elle, les Séries TV actuelles copient sans droit d’auteur, le genre est tombé dans le domaine public : gratos pour les auteurs, payant pour les visionneurs.)

- Les frangins arrivent en Égypte, ils se prosternent devant le gouverneur qui reconnaît ses frères. Joseph leur demande d’où ils viennent ? Du pays de Canaan, répondirent-ils, pour nous approvisionner en nourriture (Gn 42, 6-8). En souvenir du bon vieux temps, Joseph accuse les marchands de duperie et d’espionnage. Il les envoie en prison méditer au frais. Ensuite, il leur demande de prouver leurs dires en faisant venir Benjamin, le petit dernier de Jacob. Simon reste en prison comme otage. Toujours aussi futés, les Dalton du désert ne voient pas la bizarrerie de la demande. Ils rentrent en Canaan et racontent à leur père leur voyage. Jacob très attaché à Benjamin, le fils de son épouse adorée, morte en couche, hésite. Mais la perspective de la famine l’incline à laisser partir son petit dernier. Juda prend la responsabilité personnelle du retour du benjamin, le bien nommé Benjamin.

 Retour en Égypte. Joseph les invite au palais, il les reçoit fastueusement. Simon sort de prison, il participe au festin ; ils peuvent acheter leur grain. Mais, aux portes de la ville, un officier les arrête et les accuse d’avoir volé une coupe, bien évidemment placé dans les affaires de Benjamin par Joseph. De retour au palais, les frères se proposent tous comme esclaves pour sauver le petit dernier. Joseph refuse et ajoute : « Seul celui dans le sac duquel la coupe a été trouvé doit rester comme esclave » (Gn 44, 17). Juda monte au créneau, dans une belle envolée lyrique, il explique qu’il s’est porté garant du retour de son frère auprès de vieux Jacob qui mourrait de la perte de Benjamin : « Laisse-moi être ton esclave, et laisse l’enfant libre » (44, 33). Alors, joseph dévoile son identité, il rassure ses frères ébahis, il leur précise qu’il ne doive pas se sentir coupable de l’avoir vendu, car c’est pour vous sauver de la famine que Dieu m’envoya ici. Joseph pleure devant ses frères, preuve qu’il ne se venge pas.
Long récit pour des yeux irrités par le papier-bible, mais que de grains à moudre pour les esprits curieux et tordus sur les bords.

 Là encore, la sempiternelle crainte du dualisme fonctionne, le bien et le mal semblent s’affronter. Les figures de Joseph et des frères, à travers une histoire d’inversion des rôles, démontrent que de se retrouver de l’autre côté du bâton change radicalement la vie. Joseph leur fait subir le très classique rite de passage de l’ordalie. Les frangins découvrent que l’étranger est aussi leur frère.