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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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L’antisémitisme
Yves Coleman
Article mis en ligne le 25 janvier 2021

Selon Germinario [1] l’antisémitisme, n’est ni une « vision perverse ou délirante de l’histoire [...] qui se transforme en une négation de la réalité », ni une manifestation « irrationnelle » de la « barbarie » ou d’une « régression culturelle », ni le résidu « politico-culturel d’une époque historique passée qui survivrait dans les interstices de la modernité » (Germinario, 2019).

C’est une manifestation de « révolte » qui « n’a rien de nihiliste », bien au contraire, car elle constitue une « réponse au nihilisme » en proposant « sa propre interprétation de l’histoire » et une « idéologie politique révolutionnaire décidée à détruire la société bourgeoise libérale » (2019) ; elle propose un Grand Récit qui met en scène une conspiration des Juifs qui remonte à l’époque de Salomon et son objectif est de sauver l’humanité qui marche vers sa ruine à cause des règles qu’imposent « les Juifs » au capitalisme. Ce Grand Récit est alternatif aux Grands Récits marxistes, et est donc également susceptible d’emporter l’adhésion des masses, particulièrement des classes moyennes et de la petite bourgeoisie. Surtout en cas de crise car elle prétend « expliquer les causes des crises surtout à ceux qui les subissent » (2019).

Comme le socialisme, l’antisémitisme a toujours avancé une « proposition d’orientation clairement universaliste, dans la mesure où la lutte contre les Juifs, partant de la nation d’appartenance de l’antisémite, doit être comprise par tous les peuples » (2019). Et l’auteur compare la portée universelle des Protocoles des sages de Sion à celle du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels. Selon lui, dès le départ, les mouvements antisémites ont demandé « au politique de contrôler le capitalisme libéral financiarisé » (2019) ; et à l’Etat d’intervenir pour « éliminer toutes les causes et tous les aspects qui déterminent la crise du système social capitaliste, des spéculations financières aux périlleuses opérations boursières » (2019).

Certes, le capitalisme a « unifié le monde  », mais les effets de cette unification sont « compliqués » à comprendre et les gens se sentent « impuissants ». L’antisémitisme leur offre une « clé de lecture crédible » qui peut les soulager face aux « craintes du futur », en leur garantissant au moins un « avenir terrestre où les souffrances leur seront épargnées »

Lorsqu’on lit la prose de la plupart des intellectuels et groupes d’extrême gauche ou « radicaux » actuels, qui concentrent toutes leurs attaques contre « capitalisme financier », les « élites » et « l’oligarchie », on comprend pourquoi des antisémites peuvent se reconnaître dans leurs discours.

De même que Engels louait les écrits d’un antisémite au XIXe siècle [2] contre les Rothschild en prétendant que ses attaques pointaient « dans la bonne direction », de même aujourd’hui de nombreux militants d’extrême gauche, « radicaux » ou « autonomes » minimisent l’antisémitisme. De même, les militants anti-impérialistes ou antisionistes n’ont rien à dire sur les thèses complotistes et antijuives contenues dans la Charte du Hamas parce que cette organisation lutte contre l’Etat d’Israël et ses crimes de guerre.

L’antisémitisme politique est toujours, aujourd’hui, une idéologie « antisystème ». Et on peut le constater, non seulement chez les nationaux-populistes et d’extrême droite occidentaux (de Viktor Orban à la tribu des Le Pen en passant par le Jobik hongrois, la Ligue des familles polonaises, l’AfD allemande ou le PRM roumain) mais aussi dans les proclamations d’Al-Quaida, de l’Etat islamique et de tous les djihadistes.

Pour Germinario l’antisémitisme propose un « projet de révolution anti-financière et antibourgeoise, mais pas anticapitaliste ».

Selon lui, l’antisémitisme après 1945 repose sur trois piliers : « la négation de la Shoah, c’est-à-dire le négationnisme ; l’hostilité contre l’Etat d’Israël, qui s’exprime dans “ l’antisionisme ” ; et la critique de la présence juive dans les hautes sphères de la politique et de l’économie » (2019). Mais, à mon humble avis, il peut aussi se limiter au dernier pilier...

La négation de la Shoah renforce la thèse selon laquelle les Juifs seraient capables de diffuser massivement des mensonges ainsi que de manipuler l’Histoire et les opinions publiques à travers le contrôle supposé « des institutions qui produisent la culture, des écoles aux journaux en passant par les autres moyens d’information  » (2019) ; cette négation, selon Germinario sape les fondements de la démocratie et du pluralisme démocratique puisqu’elle vise à « remettre en question les bases anti-universalistes et antifascistes sur lesquelles ont été édifiés les systèmes politiques européens » (2019).

Quant à l’influence politique, médiatique et économique imaginaire des Juifs, ce très vieux thème est constamment renouvelé et enrichi.

« La figure de Soros a pris la place de celle des Rothschild ; mais son activité politique s’avère bien plus dangereuse que celle déployée, en son temps, par la famille Rothschild. Si, au XIXe siècle, l’antisémitisme dénonçait la main des Rothschild derrière les crises financières et les spéculations boursières, au cours des vingt dernières années, les Juifs sont accusés de détruire la compacité [l’homogénéité], des races en Occident en recourant à la fois à la spéculation et à l’immigration de populations entières » pour « empoisonner les autres races  » (2019). Soros et « les Juifs » sont aussi accusés d’« exploiter et de financer toutes sortes de mouvements d’opposition pour provoquer des changements de régime », de Solidarnosc avant 1989 au Printemps arabe en 2010 en passant les « révolutions de couleur » ou « des fleurs » entre 2003 et 2005 : révolution des Roses en Géorgie, révolution orange en Ukraine, révolution des Tulipes au Kirghizistan, révolution du Cèdre au Liban.

Comme le souligne Germinario, du moins dans le monde occidental qui est de plus en laïcisé après 1945, l’antisémitisme a « intensifié son paganisme en éliminant toute référence de nature religieuse : “les Juifs » ne sont plus engagés dans une épreuve de force pour imposer aux autres peuples leur religion, mais une domination politico-économique mondiale, qui résultera d’une contamination provoquée par les mélanges des races et des ethnies  », encouragés par « la Commission Trilatérale, la franc-maçonnerie juive, le B’nai B’rith » – et je pourrais ajouter le Forum de Davos, le Groupe Bilderberg, etc.

Dans « De la race biologique à la race culturelle  » (2019), Germinario termine sa réflexion sur l’antisémitisme contemporain en évoquant le passage d’un antisémitisme fondé sur la race biologique à un antisémitisme fondé sur la race culturelle. Si, avant 1945, les antisémites accusaient la « race juive » de vouloir « abâtardir » la « race blanche » ou « aryenne » pour mieux établir sa domination sur le monde et « judaïser » les peuples, aujourd’hui le discours antisémite a adopté un autre discours, mais qui revient fondamentalement au même. « Les Juifs » et leur « avant-poste » l’Etat d’Israël, en coordination avec le « sionisme international », sont accusés de vouloir détruire toutes les cultures nationales. Pour cela, ils imposeraient l’idéologie du multiculturalisme, soutiendraient l’immigration de masse asiatique et africaine en Europe, et promouvraient un métissage culturel généralisé qui aboutirait à la fin des cultures européennes et occidentales.
L’antisémitisme moderne repose sur la fiction d’un projet « ethnico-culturel au nom de valeurs cosmopolites  ». « Les Juifs » comme Soros sont accusés de voire « abâtardir les races et les cultures  », et ce mythe repose sur « la peur que les cultures et les ethnies européennes puissent être “contaminées » par des personnes originaires de pays et de continents extra-européens  ».
Germinario n’évoque pas les différents mouvements dits « souverainistes » ou néopopulistes de gauche en Europe, mais ces mouvements, même quand ils ne sont pas antisémites, remettent eux aussi en cause l’universalisme quand ils considèrent, ou sous-entendent, que certaines différences culturelles seraient irréductibles et que certaines religions, en premier lieu l’islam, seraient « incompatibles avec la démocratie ».
Cette « naturalisation de la culture  » que dénonce très justement Germinario à propos de l’antisémitisme, est aussi en train de se produire, dans toute une partie de la gauche, avec les « musulmans » (de culture ou de religion) et avec les Etats dits « musulmans ». C’est pourquoi, tout en dénonçant toutes les formes d’antisémitisme et de négationnisme à gauche, il ne faut jamais oublier que ces idéologies propagent aujourd’hui de nombreux clichés, stéréotypes et préjugés qui ciblent d’autres catégories de la population que « les Juifs » et donc qu’un combat efficace contre l’antisémitisme est inséparable du combat contre tous les autres racismes.