Au-delà des revendications ouvrières, de classe, relatives aux conditions de travail : horaire et salaire- il faut rappeler que l’égalité salariale n’existait évidemment pas, ni même les conditions élémentaires de dignité ouvrière entre les hommes et les femmes- les femmes ouvrières souffraient dans leur condition d’exploitées d’un argument spécifique et de poids : leur sexe. A cet égard, les hommes étaient loin de la condition des femmes, à travail égal.
Les ovalistes étaient logées par leur patron, étant immigrées rurales. De là, il faut poser la condition sexuelle élémentaire de ces femmes : le harcèlement sexuel par les patrons et contremaitres, présents dans l’atelier, le chantage, le droit de cuissage, et les viols. Ces faits ne sont pas relatés dans les archives que nous avons eues en mains, mais on ne peut pas les ignorer dans une condition ouvrière où les femmes par dizaines et centaines vivaient logées par le patron sur place dans les ouvroirs, et non pas dans des espaces séparés et privatifs. Cette condition sexuée spécifique dans la lutte des ovalistes et dans toutes les luttes de classe des femmes, apparait en plein jour lorsque certaines grévistes décident de continuer la grève, quitte à être expulsées de leur dortoir : elles se retrouvent à la rue avec leurs malles. Dès lors, court dans les représentations de ces femmes l’assimilation à la prostitution : des femmes à la rue, ce sont "des prostituées" ; ajoutant que nombre d’ouvrières de l’époque sont si mal payées qu’elles font, de notoriété publique, le "cinquième quart de la journée" à savoir, la prostitution officieuse pour améliorer l’ordinaire.
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Outre qu’il n’était pas question de réclamer à travail égal salaire égal, ni horaire égal, pour les ovalistes, comme pour toute ouvrière de l’époque, il n’était pas question de revendiquer une condition sexuelle protégée des assauts de la hiérarchie corporative. Nulle part dans l’histoire des luttes d’ouvrières ni dans la naissance du syndicalisme pour les femmes, cette condition fondamentale des femmes dans le salariat n’est prise en compte. De là, un fossé entre hommes et femmes dans la lutte de classe, pour un siècle.
Au début du XXe siècle, dans le département de l’Isère éclata une grève de femmes du textile à Voiron. Une femme prit la tête de cette grève, Lucie Baud. Mais cette fois-ci, un syndicaliste anarchiste prit sa défense, et cette femme fut élue déléguée syndicale de sa branche- comme Philomène Rozan- mais envoyée en délégation au congrès national hors de son département, avec le soutien du syndicat et de tous ses alliés. Cette femme écrivit ses mémoires en quelques pages. Trente ans s’étaient écoulés entre les ovalistes et Lucie Baud .
En 1913 à Lyon, éclata l’affaire Couriau. Les époux Couriau étaient des typographes syndicalistes, adhérents tous les deux à leur syndicat. Mais le syndicat des typographes ne voulait pas d’une femme syndicaliste, ni typote d’ailleurs. Le syndicat se mit en grève contre Emma Couriau. Ce haut fait marque l’apogée de la lutte syndicaliste antiféministe contre le travail et contre la syndicalisation des femmes. Emma Couriau fut réintégrée de haute lutte, mais demeure l’emblème d’un combat difficile. L’affaire Couriau donna naissance à une première section féminine syndicaliste en 1914 avec Marie Guillot.
Nombreux sont les exemples des luttes de classe des femmes dans l’histoire du XXe siècle. Au XIXe siècle, les études complémentaires des ovalistes sont rares. On connait des grèves à la manufacture des tabacs de Toulouse entre 1870 et 1875. Puis il se produisit une grève de femmes ouvrières au Havre en 1887, presque vingt ans après les ovalistes. Ce dossier nécessite une véritable recherche, qui, de nos jours, fait défaut pour réévaluer clairement l’évolution de la condition syndicale des femmes. Michelle Perrot dans son inaugural travail sur "les ouvriers en grève" avant la création des syndicats, a consacré un chapitre aux grèves de femmes, qui sont en filigrane, et très peu visibles au XIXe siècle .