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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Tout au long du XXe siècle la situation s’affermit
Article mis en ligne le 2 février 2021

Tout au long du XXe siècle la situation s’affermit, mais ne se résoud pas réellement. L’exemple des sardinières de Douarenez se situe en 1924, cinquante ans après les ovalistes. L’histoire longue se déploie lentement. Ainsi avons-nous connu dans les années 1970 des syndicalistes de la CGT et de la CFDT, faire sécession de leur syndicat qui ne leur laissait point le loisir d’explorer et de défendre leur condition spécifique sexuée au travail. Elles eurent gain de cause après une âpre lutte de plusieurs années.

Les professionnelles des luttes des femmes ont retracé, dans leurs travaux, les innombrables luttes qui ont jalonné le XXe siècle et les débuts du XXIe siècle. On se souviendra des luttes des ouvrières de Lajaby qui fondèrent une coopérative " les atelières", pour sursoir à leur licenciement. Mais il faut dresser l’oreille lorsque survient une grève de femmes. Non loin des revendications d’une dignité au travail, on trouve les dénonciations de harcèlement sexuel, de tentatives de viols au travail, énoncées avec beaucoup de difficultés, comme une culpabilité. Ainsi d’un contremaitre belge-voir infra- qui attendait ses ouvrières à la sortie des toilettes et leur demandaient si elles avaient leurs règles. Ce sont ces spécificités sexuées qui font la lutte des femmes au travail. Et encore n’ai-je pas abordé la question de la dite " double journée" des femmes qui doivent simultanément pourvoir aux soins domestiques, à l’élevage des enfants et au travail salarié. Les ovalistes, jeunes en général, n’ont pas exhibé d’enfants au travail et n’ont pas de foyer à entretenir. Nous avons pensé que les nouveaux-nés devaient être placés en nourrice ou confiés à la famille d ’origine. Ils ne sont pas dans l’atelier en tous cas. Car il y a bien accouchements parmi les ovalistes, puisque nous avons retrouvé à l’hôtel-dieu des ovalistes soignées pour suites de couches, soit avortement sans doute. Mais au XXe siècle, avec l’amplitude du salariat des femmes, la journée de huit heures et le culte du travail ménager, ces arguments reviennent en force dans le salariat des femmes et dans leurs luttes.

<exergue|texte={{Car il y a bien accouchements parmi les ovalistes, }} |position=left|right|center>Annik Houel, ma co-auteure de " La grève des Ovalistes", précise :
"En 1982 : des ouvrières belges d’une usine de Bekaert-Cockerill, une multinationale sidérurgique, ont dû se mettre en grève pour leur seule cause, leurs collègues masculins ayant accepté une réduction du temps de travail pour les seules femmes. Grève hélas sans succès, les collègues masculins en question les ayant laissées toujours aussi seules .

Il faut que le corps de métier soit particulièrement féminisé, que ce métier soit bien reconnu comme un métier qualifié (et non pas un métier bien « féminin ») et ce par l’ensemble du corps social, pour que les femmes ne se fassent pas voler le pouvoir : ce fut le cas pour les infirmières, en 1988-89, aussi parce qu’elles surent, bien sûr, créer un collectif efficace sans se le faire confisquer .

Les remarques du type de celles qu’ont eues à subir les ouvrières de l’usine Maryflo, usine bretonne du textile, qui ont mené en 1997 une grève mémorable contre leur manager, peuvent maintenant être reconnues comme constitutives de harcèlement ; cet homme, qui a été soutenu en toute connaissance de cause par sa patronne, pouvait se permettre non seulement de chronométrer le temps des pauses dites pauses-pipi mais exerçait un droit de regard indécent : « Il attendait à la porte des toilettes », rapporte Sylvie. Sa grossièreté n’a pas de limites : « Quand le rendement baissait, il demandait si on avait nos règles. » (Mireille) Dès son arrivée, une première grève éclate, tentant d’attirer l’attention sur les éléments plus clairement mis en avant lors de la nouvelle grève qui se déclenche six mois après, dure cinq semaines et, face à l’obstination de sa PDG, va conduire à la mort de l’entreprise : « Nous nous battons pour notre dignité, pour le respect de la personne humaine, contre le harcèlement et les insultes . »

L’expérience de Maryflo, qui a posé les bases de cette question du harcèlement en France, a été reprise par Marie-France Hirigoyen avec un succès absolu qui l’a étonnée elle-même , aboutissant alors à l’élaboration de la loi de 2002. Mais dans le cas de Maryflo, il s’agissait de ce qu’on appelle maintenant un harcèlement stratégique, comme celui mis en place par certaines entreprises qu’on peut qualifier pour le moins d’indélicates en vue d’effectuer des licenciements abusifs, ou mis en place par d’autres comme stratégie managériale.

Dernier exemple également encourageant, une vingtaine d’ouvrières licenciées de chez Lejaby ont constitué une société coopérative d’intérêt collectif en janvier 2013, Les Atelières, en désignant elles-mêmes leur PDG, Muriel Pernin . Elles ont fait le choix d’une lingerie de luxe et confectionnent, entre autres, des modèles créés par Zahia, ancienne escort girl prostituée alors qu’elle était mineure, s’offrant ainsi le luxe de se jouer du vieux schéma de la maman et de la putain".

On sait, hélas aujourd’hui, que la vie des "Atelières" se solda par une fermeture de leur coopérative en 2015 après trois années d’activité.

Pour se représenter plus clairement les enjeux très particuliers des luttes de classe des femmes, je retiendrai deux exemples dans l’histoire récente : les femmes de Plogoff, et les paysannes du Larzac, parce que ces deux exemples sont documentés et que des auteurs se sont attachés à les rendre visibles . Ces deux exemples ne concernent pas une lutte salariale mais une lutte anti-nucléaire et une lutte antimilitariste pour la sauvegarde d’un territoire. C’est à dire deux luttes très politiques, où les femmes ne furent pas seules en première ligne, mais formèrent une ligne de défense et de combat spécifique. Cela nous permet une approche plus récente des composantes des luttes de classe féminines. Car certaines luttes dans le siècle, furent soutenues par un front féminin très actif. Ainsi le retrace le film emblématique de Herbert Biberman "Le Sel de la terre", en 1954, où l’on voit des femmes de mineurs prendre la relève des hommes coincés au bout de leur combat par le patronat, et l’engagement de ces femmes, fit pencher la balance en leur faveur : elles gagnèrent, et eux avec. Ainsi, pour rester dans le cinéma, le film de René Vautier et Soazig Chappedelaine sur les ouvrières en grève en Bretagne," Quand les femmes ont pris la colère" en 1977.
Ces luttes de femmes hors de la sphère stricte du salariat, permet de percevoir de manière plus proche l’enjeu pivotal, quel que soit le support de la lutte. Quand les femmes luttent, ouvrez l’oeil et soyez vigilants !

Claire Auzias, avec le concours de Annik Houel.
auteures de " La grève des Ovalistes, Lyon 1869" éd. Payot, 1982, rééd. ACL, 2016.

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