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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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IV - Zone d’autonomie définitive ?
Serge Aumeunier
Article mis en ligne le 5 février 2021
dernière modification le 7 février 2021

L’union sacrée, motivée par les agressions policières, tiendra-t-elle quand il s’agira de discuter avec le pouvoir l’avenir de la zone ?

La perspective de la victoire contre le projet d’aéroport avait été réfléchie depuis plusieurs années, notamment à travers des textes de 2014, « Les communs sont une stratégie pour soustraire des terres à l’État et à la propriété privée » et « De la ZAD aux Communaux » : « Chercher à réaliser un très vieux rêve, que nul ne puisse vendre, acheter ou monnayer l’usage de ces terres, cabanes et fermes, friches et champs que nous avons en partage ». De son côté, le « Collectif des cartographes anonymes » réalise des cartes des différentes parcelles permettant un état visuel des activités et du foncier agricole et de leur évolution future

Enracinons l’avenir

Un an et demi d’échanges, notamment en assemblée régulière regroupant les différentes composantes du mouvement, débouche en 2015 sur « Les 6 points pour l’avenir de la ZAD » : « Nous semons et construisons déjà un avenir sans aéroport dans la diversité et la cohésion ».

Il y est souhaité que les « opposants historiques » recouvrent leurs droits, que les « occupants » puissent rester et ne pas être expulsés. Une « entité issue du mouvement et rassemblant toutes ses composantes » devrait prendre en charge les terres en vue de nouvelles installations et non pour l’agrandissement d’exploitations préexistantes. Les expérimentations sociales et politiques devraient continuer à se développer.

Mais les interrogations demeurent, par exemple en 2017 : « Si demain l’État voulait revenir et réinstaller un ʻÉtat de droitʼ, quels rapports de force et formes de négociations seraient possibles ? ».

Quand resurgit l’État-Léviathan...

Deux semaines après l’humiliation du renoncement au projet d’aéroport, Macron annonce la revanche : « Il faut être ferme face aux occupations illégales du territoire pour que l’État de droitʼ soit respecté », faisant écho à un sénateur : « Si l’État n’évacue pas la ZAD, c’est l’État que vous évacuez de la ZAD ».

Dés avril 2018, une vaste opération policière, accompagnée de blindés, démantèle une partie des lieux occupés : « Ils sont venus, ils ont tout pété et ils ont dit ’Soit vous signez soit on finit de tout péterʼ  » : une demande individuelle de « baux précaires » pourrait accorder un répit. La préfète de Loire Atlantique, droite dans ses bottes, confirme : «  Ceux qui sont dans l’illégalité, ceux qui n’ont pas de projet agricole, devront partir  ».

Face aux injonctions du pouvoir de rentrer dans le rang, des oppositions virulentes s’expriment et déchirent le mouvement entre ceux qui refusent d’accepter des concessions et ceux qui, pour rester, acceptent de négocier afin de préserver une partie des acquis.

Au sein de l’ACIPA, qui depuis 18 ans a eu un rôle important dans les diverses actions, le conseil d’administration est divisé entre une majorité souhaitant arrêter l’association « créée pour lutter contre l’aéroport maintenant abandonné », et ceux qui rappellent que « des réflexions sur les choix de société, l’agriculture, l’écologie se sont greffées à la philosophie de l’association ». Le 30 juin, une assemblée houleuse de 400 adhérents se termine par un vote favorable à la dissolution par 531 voix contre 389 : « Des administrateurs en avaient plein les poches de ces "bons pour pouvoir" qu’ils étaient allés glaner auprès de gens qui ne disent rien et que l’on ne voit jamais »,« C’est un sabordage, ils ne veulent pas le changement de société ».

Une partie des occupants, se sentant trahie par ceux qui se plient aux injonctions du gouvernement, quitte la zone. Ceux qui restent décident d’affronter ensemble le processus de légalisation.

… les luttes continuent !

Sur le site de la ZAD on peut lire, au lendemain du « suicide » de l’ACIPA : « On aura encore besoin de soutien massif dans les semaines et mois qui viennent afin de crier que, même si on a gagné contre l’aéroport, la lutte contre son monde et pour la Zad continue ! ».

Des membres de l’association créent « Poursuivre ensemble » pour « défendre les projets de vie qui s’y développent et qui nous semblent extrêmement importants dans le monde actuel » avec pour objectifs :

→ Soutenir les luttes contre les GPII.

→ Protéger la biodiversité, forêts et les bois, cours d’eau et zones humides, espèces végétales et animales.

→ S’opposer à la disparition des terres agricoles et de la paysannerie, favoriser leur usage partagé et une gestion collective face à l’agriculture intensive.

→ Accompagner le développement et la pérennisation de projets de vie agricoles, écologiques, artisanaux, éducatifs, sociaux et culturels.

Une petite vingtaine de « conventions d’utilisation précaire » est accordée à des projets agricoles présentés par des occupants. Par la suite, le rapport de forces permettra de les transformer en « bail rural » de 9 ans, renouvelable et protégé.

Un fond de dotation « La terre en commun » est mis en place, sans système de parts ni d’actions, pour « acquérir d’urgence les bâtis, terres et forêts sur la ZAD qui doit continuer à être ce véritable laboratoire de la transition écologique et sociale », en garantissant le maintien des activités collectives nées de la lutte et aidant de nouveaux projets basés sur l’entraide, la mise en commun et le respect de la terre et de la nature.
Après 3 ans de bataille bocagère avec l’administration, qu’en est-il du foncier ? Sur les 1650 hectares concernés par l’aéroport (dont 450 en bois, friches, chemins, bâtiments, routes), l’agriculture biologique est pratiquée sur 350 en « baux ruraux » à clause environnementale signés par des jeunes issus de la lutte et autant aux paysans « résistants historiques » de l’ADECA.
« L’enjeu est d’articuler divers outils contre une vision hégémonique et dominante de l’aménagement qui ne considère pas les territoires dans leur lien au vivant ».
Qu’en est-il, en ce début d’année 2021, de l’habitat et des activités sociales et culturelles sur une zone qui accueille environ 200 personnes ? Si plusieurs interventions policières ont détruit les cabanes « illégales », la plupart des lieux de vie subsistent ou ont été reconstruits. Certains groupes envisagent d’adopter un mode associatif : Bibliothèque de Taslu, « L’ambaZADa », « Sème ta ZAD », « La cagette des terres »...
L’« Assemblée des usages » se réunit toutes les semaines pour débattre sur l’habitat, le foncier et l’usage agricole. Une « commission habitat » tente de faire accepter ce qui se vit dans ce territoire en lutte dans le rigide cadre du « Plan local d’urbanisme intercommunal ».
Parmi les nouveaux projets collectifs :
→ dortoir de Bellevue, conserverie de « La Noë verte »,
→ « Forêt-École » d’« Abracadabois » : futaie jardinée, conservation d’arbres, zone en libre-évolution,
→ « Les Noues qui poussent » (noue = « sol gras et humide ») : 60 hectares en prairies, friches, bois et sources, pour accroître le diversité des habitats écologiques et expérimenter en agro-écologie.
→ « École des Tritons » : « Maison de la résistance et de l’écologie » construite sur un bâti historique détruit à la tractopelle, qui s’inscrit dans la continuité des pratiques des « naturalistes en lutte » (paysannerie collective, espace d’éducation populaire et dissident).
Les liens avec l’extérieur sont importants : accueil et hébergement de plusieurs centaines de personnes chaque année, soutien aux luttes régionales (plateforme Amazon à Montbert, zone industrielle de 110 hectares en zone humide au Carnet où une ZAD s’est installée...), organisation d’événements tels le festival ZADenVIES et les rencontres intergalactiques fin août 2020, des milliers de personnes sur plusieurs jours, préparation à la réception des compagnons de lutte du Chiapas en voyage en Europe à partir d’avril 2021.