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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Privés de vie
Article mis en ligne le 4 juin 2021
dernière modification le 6 juin 2021

Vies publiques : robots-cities . L’obsession sécuritaire des Safe-cities, à tôt remplacé la promesse de fluidité des Smart-cities, les « villes intelligentes » que les techno-évangélistes nous vantaient dès la fin des années 2000. Dans l’espace public, des robots-caméras nous regardent, des robots-micros nous écoutent, des robots-radars analysent nos mouvements. Dans les commissariats des robots-analystes prédisent nos actions… Des robots nous connaissent et nous reconnaissent. En silence, ils nous surveillent. Ils cherchent à déceler des comportements anormaux. C’est légal, c’est pour notre bien nous dit-on ; chaque nouvel « attentat » est l’occasion d’une nouvelle loi qui introduit dans nos vies de nouveaux robots publics ou privés. En 1780 Jeremy Bentham imagine l’architecture panoptique grâce à laquelle un unique gardien peut observer tous les prisonniers d’une prison sans être lui-même vu. Il en vante les bénéfices : « La morale réformée, la santé préservée, l’industrie revigorée, l’instruction diffusée, les charges publiques allégées... ». En 1986 Gilles Deleuze après Foucault reformule ces bénéfices : « imposer une conduite quelconque à une multiplicité humaine quelconque ». La robocratie réalise le rêve de ce pionnier du libéralisme, notre cauchemar : des sociétés de robots définissent nos vies publiques. La robocratie est le moment de la société panoptique, une société contre nous, les humains.

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Vies privées : robots-intimes . Les robots s’insinuent dans nos intimités, dans nos relations interpersonnelles. Animaux sociaux, nous recherchons la compagnie des êtres humains, mais nos attentes sont parfois déçues et nos espoirs trompés ; les envies et disponibilités de l’autre ne sont pas toujours compatibles avec les nôtres. Nombre d’humains se replient sur l’adoption d’un animal. Sa « compagnie » est plus facile à vivre que celle d’un être humain, elle est plus confortable. À l’image de ces animaux, les robots-intimes sont conçus pour découvrir et satisfaire nos envies, sans aucune limite. Et nous sommes déjà attachés aux robots-intimes qui alimentent nos flux Facebook, Youtube, Spotify, Tik Tok… ils nous connaissent parfaitement et jouent de nos émotions, tout en se jouant de nous. Alexa, Siri, les robots-assistants des GAFAM ouvrent l’ère des robots-compagnie. Ils – ou elles ? – nous parlent, on leur parle ; nous oublions bien vite qu’ils ne sont pas nos amis. Experts en communication, experts en toutes techniques, de la cuisine au sport à l’érotisme ou la sexualité, les robots-intimes nous séduisent et savent se rendre indispensable. Ils sont en cours d’expérimentation avec les enfants pour « aider » les parents peu disponibles, et avec les personnes les plus âgées pour « palier » leur isolement. Infiniment patients, sans ego, ces robots-intimes pourront prendre la place d’une compagne ou d’un compagnon. Ils seront alors à même de susciter nos pensées et nos actions, de nous faire adopter leurs propres objectifs. Les robots-intimes sont la version douce de la robocratie, son opium.

Le rapport de force : humains et robots sont en compétition et les dés sont infiniment pipés. Alors que les humains n’évoluent qu’au rythme infiniment lent de la génétique, les robots sont propulsés par la convergence des techno-sciences elles-mêmes en constante accélération. Tirée par les chefs d’État et les princes du capitalisme, poussée par le corps mondialisé des scientifiques et ingénieurs, l’évolution des robots s’actualise au sein des circuits recherche-ingénierie-innovation, toujours plus courts, organisés et financés par les États les plus puissants. Chaque progrès s’appuyant sur les précédents, l’accélération est la norme. Toutes les sciences sont mobilisées, mathématiques, physique, chimie, biologie, géographie, informatique, neuro-sciences, science-sociales… Les corps et les esprits des robots font feu de toute avancée. Tout peut servir, tout sert. L’imagination est au pouvoir et l’inspiration s’appuie tout autant sur l’observation du vivant avec le bio-mimétisme que sur l’imagination débridée des auteurs de science-fiction. Les mathématiques viennent ensuite pour transformer l’intuition en modèle rigoureux, quantifié, opérationnalisable. Il est difficile d’envisager une limite, un point infranchissable, une impossibilité.

Peut-être la conscience… et l’on sait depuis Rabelais que science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Notre ruine.

Refusons-là !

– Hépha Istos
(1) Karl Marx, Grundrisse, 1857, traduction française en ligne
(2) Paulin Ismard, Les esclaves publics en Grèce ancienne, Seuil, 288 pages.