La grande famille des robots : les robots se présentent à nous sous d’innombrables formes, combinaisons de mécanique, d’électronique, de matières plastiques ou organiques, etc. On veut insister dans cette introduction sur une catégorie particulière, celle des « bots » bien connue des informaticiens qui les côtoient quotidiennement, mais mal perçue du grand public. Les « bots » sont les robots purement informationnels qui absorbent, produisent et communiquent de l’information – un robot-trader est un bot, tout comme un robot-journaliste, ou un « assistant » tel Apple Siri ou Amazon Alexa.
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Les bots n’ont ni capteur ni actionneur sur le monde physique et ils sont invisibles à notre échelle car leurs corps habitent l’Internet et les dispositifs qu’il relie, comme les smartphones. La presse leur a donné à un surnom : les algorithmes. Mais ce surnom ne rend pas compte de la nature des bots. L’algorithme n’est que la partie « intelligente » du bot, le cœur de son programme. Il lui faut également de la matière – un corps – pour se stocker, une adresse, une intelligence et de la bande passante pour communiquer, de la mémoire à long et court-terme pour exister, et enfin du « Cpu » pour s’animer et réaliser ses taches. Ces fameux « algorithmes » sont donc en réalité des robots – les bots – , dans la grande famille des robots, ils sont ceux de l’Internet.
La promesse des robots : abondance, confort, longévité, santé. En robocratie, donc, le coût de production des biens de consommation de masse tend marginalement vers zéro ; c’est l’avènement d’une société d’abondance dans laquelle les besoins fondamentaux sont largement satisfaits, le confortable l’est toujours plus alors que la durée de vie en bonne santé s’allonge. Libérés des tâches dangereuses, pénibles ou même ingrates, les humains travaillent peu. Grâce à la surveillance omnisciente des robots, les délits régressent enfin, les femmes se réapproprient l’espace public, les villes sont sûres et les campagnes paisibles. Des robots-intimes aident les humains a tisser des relations apaisées ou assouvir sans danger leurs fantasmes les plus furieux, tandis que des robots-nurses prennent soin des plus âgés et de l’éducation des enfants. C’est la « social-robocratie », c’est le monde que décrivait dès 1976 l’écrivain et journaliste Louis Pauwells, rejoignant en cela une longue tradition de marxistes, de socialistes et nombre d’anarchistes aveuglés par les Lumières et sa religion du progrès.
« L’argent, le machinisme et l’algèbre sont les trois monstres de notre civilisation. »
La réalité robocratique : frustration, précarité, d’isolement, nihilisme. Les Lumières s’éteignent peu à peu et nous voici confrontés au côté obscur du progrès : un avenir bien sombre aux couleurs de la frustration, de la précarité et de la perte d’autonomie. L’innovation darwinienne qui fonde la société robotisée ne conduit pas à la libération du travail. Son rôle bien au contraire, est de produire de nouveaux désirs et susciter une constante insatisfaction de masse source de l’achat sans faim ni fin de nouveaux bien et services que la science des robots-publicitaires aura rendus indispensables. La consommation de masse est paradoxalement conjuguée avec la pénurie ; celle-ci pour tendre les désirs et faire monter les prix et celle-à pour assurer des profits à grande échelle. En lieu et place de cette profonde détente qu’autorise la garantie de l’abondance on trouvera plutôt le règne de la frustration et de la précarité, sur fond d’isolement et de nihilisme. En robocratie il faudra non pas travailler moins, mais à l’inverse et pour qui le pourra, travailler plus pour désirer plus. Et on le sait, le désir est sans fin.
Analyses : de Marx à Galbraith : le Marx des Grundrisse [1] qui analyse en 1857 le « machinisme » décrit correctement la composante économique, la tendance interne du capitalisme à l’automatisation et le rôle de la science dans la transformation du travail humain en capital fixe matérialisé dans les machines. Mais son credo moniste du « tout économique » le conduit à ignorer le transfert de pouvoir des hommes au machines. Et pourtant, on aurait pu y croire… après-guerre, grâce à l’automatisation accélérée des usines et des champs issue du colossal « effort de guerre », on produit plus pour moins cher et c’est bien la société de consommation qui succède à celle de la pénurie. Baisse significative du coût de l’alimentation et doublement généralisé des salaires : l’abondance enfin, est là, grâce aux machines ! Mais dès 1958, dans son livre choc « The Affluent society », John Galbraith, proche conseiller des présidents démocrates, de Roosevelt à Clinton, déconstruit l’illusion et énonce sa thèse, mille fois vérifiée depuis : « ce sont les grandes entreprises qui imposent des produits et des services aux consommateurs en les manipulant avec le marketing et la publicité, et non l’inverse » . L’utopie marxiste du produire plus et travailler moins, grâce au « machinisme » s’est révélée en dystopie. Elle est finalement pleinement assumée et cyniquement mise en slogan par Nicolas Sarkozy en 2007 : « Travailler plus pour gagner plus ! ».
Analyse : Simone Weil, la visionnaire : la plus lucide aura probablement été l’alsacienne Simone Weil, sœur d’un génie des mathématiques, helléniste érudite, philosophe visionnaire, et libertaire aux penchants mystiques. Son analyse à laquelle on adhère fortement ici, est profonde et sans appel, synthétisée. Dès le premier de ses Cahiers, elle écrit en lettres capitales : « ARGENT, MACHINISME, ALGÈBRE, les trois monstres de la civilisation actuelle ».