Dans un article paru le 10 mars 2021 sur le site du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), le militant Christian Delarue écrit : « Le peuple-classe lui, dans sa diversité de situation, est bien la très large fraction de peuple qui subit le classisme d’en-haut, soit la politique de domination de classe de l’oligarchie et de la classe dominante. »
Le terme « classisme », de plus en plus visible dans la littérature militante, est ici employé dans un sens précis, à savoir « la domination de classe », avec une connotation nettement péjorative. Pourtant, ce mot – que l’on ne trouve pas (encore) dans les éditions en ligne du Larousse ou du Robert – a évolué au fil du temps.
Au début du XIXe siècle, il pouvait être employé en lieu et place de classicisme, courant littéraire apparu deux siècles auparavant, comme l’illustre cet extrait : « Le succès de Henri III de M. Dumas a ranimé la guerre, tant soit peu ridicule, du Classisme et du Romantisme » (Le Constitutionnel, 24 février 1829).
Mais l’apparition du mouvement ouvrier moderne vient lui donner une nouvelle signification, ainsi qu’en témoigne l’expression « luttisme de classisme » (La Nouvelle revue française, 1er juillet 1939), employée ironiquement par un Charles Péguy passé du socialisme au patriotisme, tournant le dos à la lutte de classe.
Dans l’entre-deux-guerres, le professeur fasciste Guido Bortolotto estime qu’« en Italie les forces de production, au lieu de s’organiser en classisme sur une base internationale, doivent se constituer en interclassisme sur base nationale » (Sotiris Agapitidès, Le corporatisme en Italie, 1935).
« Classisme » renvoie désormais à l’organisation indépendante du prolétariat. Et c’est cette définition que rejette Alfred Ancel, homme d’Eglise. Dans le contexte de la Guerre froide, il estime que « le classisme est, comme le racisme, une doctrine totalitaire qui veut imposer non seulement un régime politique et économique mais encore une pensée économique à tous les hommes » (La Croix du Nord, 14 octobre 1950).
Parmi les premières occurrences de son acception actuelle, on peut relever ces initiatives relayées par des revues françaises, comme le groupe chrétien new-yorkais « R.S.A.C. ad hoc group on racism, sexism and classism » (Les Cahiers du GRIF, septembre 1975) ou la discussion ayant pour thème « Classisme, Racisme, Sexisme » programmée lors du quatrième congrès annuel de l’International Association of Gay Women and Men, organisé à Washington (Masques, automne 1982).
Nedjib SIDI MOUSSA