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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Anarchisme, archéologie et Préhistoire
Gwenolé KERDIVEL
Article mis en ligne le 1er septembre 2022
dernière modification le 22 novembre 2022

Définition

L’archéologie est définie dans le Petit Robert comme l’étude des civilisations anciennes réalisée à partir des vestiges matériels d’une activité exercée par les hommes, ou à partir des éléments de leur contexte. L’étude des vestiges antérieurs à l’invention de l’écriture sont considérés comme relevant de l’archéologie préhistorique.

Invention de la Préhistoire

C’est en France que la Préhistoire a été « inventée » grâce à un notable fantasque et romantique Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes (1788-1868). Collectionneur, il rémunérait les ouvriers des sablières des bords de la Somme qui lui rapportaient des objets significatifs et poétiques. C’est ainsi qu’il commença à s’intéresser à des pierres taillées (bifaces) et qu’il se convainquit de leur caractère antédiluvien. En effet, jusque-là, la chronologie de l’humanité était fondée sur la Bible et était donc courte, aucun reste humain ne pouvait exister avant le Déluge daté à l’époque de -2348 et la Création de -4000. Boucher achetait donc des bifaces pour l’équivalent d’un mois de salaire et par conséquent très vite les ouvriers apprirent à faire des bifaces… Ce qui a jeté très vite un doute sur la validité des collections de Boucher de Perthes et de ses travaux publiés en deux fois au mitan du 19ème siècle. Il n’en demeure pas moins qu’après une longue polémique autour du site de Moulin-Quignon en 1863, la naissance de la Préhistoire était actée et la chronologie de l’humanité peu à peu élargie. Retenons d’emblée ici le caractère récent de la Préhistoire, son association aux amateurs aisés et à l’art, l’existence précoce de faux dont la vente vient améliorer une vie difficile en cette époque de Révolution industrielle.

Des modèles théoriques obsolètes

Par la suite, l’archéologie préhistorique va se développer et s’enrichir aux travers de différents modèles théoriques, dont beaucoup ont posé problème quand d’autres en posent encore.

Ainsi, la place de la femme, tant de la femme préhistorique que celle étudiant la Préhistoire, n’a été que très récemment questionné. En effet, la Préhistoire se construisant au cours du 3ème Empire puis de la 3ème République, régimes au patriarcalisme marqué, le rôle des femmes étaient réduites à celle de mère, d’épouse et de cuisinière et le mythe de « l’enlèvement des Sabines » considéré comme une réalité. On doit à Cl. Cohen (La femme des origines, Belin-Herscher, 2013) un immense travail historiographique sur cette perception. De même, à une époque où le racialisme est la norme, les chercheurs mettent en évidence des ancêtres à l’homme moderne, qui leur font honte, tel Homo Neandertalensis. C’est ainsi qu’on passera lentement de descriptions franchement racistes à la fin du 19ème siècle (« A qui ressemble le plus cette race primitive d’Europe ? Au type australien, le plus repoussant de tous ceux qu’on puisse rencontrer parmi les sauvages vivant actuellement  », Carl Vogt 1865) à des propos normalisateurs, guère plus satisfaisants (la génétique a successivement confirmé l’impossible reproduction entre Sapiens et Néandertal puis affirmé le contraire, dans une recherche du buzz médiatico-scientifique). Certains chercheurs sont d’ailleurs lucides sur ce sujet, tels J.-M. Genest, S. Maury, J. Pélégrin, H. Roche et B. Valentin dans Libération en 2005 : «  Une idéologie qui renvoie donc à une hiérarchisation des sociétés dont se nourrissaient les mythes du XIXe siècle à propos de l’homme préhistorique ». En ce qui concerne l’organisation des sociétés, il est troublant de constater, pour le Néolithique (période que je connais le mieux), que l’on passe du mythe de sociétés agricoles et sédentaires largement égalitaires dans le sillage de V. Gordon Ghilde (éminent archéologue et membre du Parti communiste britannique) à des sociétés inégalitaires et fortement hiérarchisées à partir du début des années 80 et l’essor du libéralisme économique. La contestation ne vient que récemment depuis l’angle de l’anthropologie anarchiste. En effet, il aura fallu attendre la publication en France des travaux de D. Graeber (Dette : 5000 ans d’histoire, Les Liens qui Libèrent, 2013), de C. MacDonald (L’Ordre contre l’Harmonie, Editions PETRA, 2018) puis surtout de J. C. Scott (Homo Domesticus, La Découverte, 2019) pour que ce nouveau mythe se fissure ; parcimonieusement : la plupart des supports de vulgarisation sur le Néolithique utilisent sans nuances les termes d’inégalités et de hiérarchies. On le voit l’interprétation des données fournies par l’archéologie préhistorique a été et est encore le reflet de l’idéologie de ses praticien-nes avec bien souvent des généralisations rapides et des a-priori fallacieux et regrettables. Face à cela, on ne peut que se remémorer l’introduction de Voline à son ouvrage La Révolution Inconnue, en changeant le mot « russe » par « néolithique » : «  Feuilletez quelques livres sur la Révolution russe. [...] Plus vous cherchez à la fixer, moins vous y arrivez. Car les auteurs ont, chaque fois, passé sous silence des faits de la plus haute importance si ceux-ci ne s’accordaient pas avec leurs idées, ne les intéressaient pas ou ne leur convenaient pas. » Or, depuis peu, un collectif de chercheurs hispanophones, regroupés autour de la revue Palimpsestos, tente de théoriser franchement une archéologie anarchiste comme Graeber revendiquait une anthropologie anarchiste, en remettant en cause un certain nombre d’interprétations de la Préhistoire considérées comme acquises.

Une pratique de terrain contestable et orientée

Par ailleurs, l’archéologie au sens large et préhistorique en particulier est aussi une pratique, une manière de faire. Or, l’histoire de celle-ci est révélatrice de tensions encore existantes aujourd’hui. Ainsi, l’archéologie et la Préhistoire ont d’abord été le fait de sociétés savantes diverses et variées (Société des Antiquaires de Normandie en 1824). Ces sociétés regroupaient des personnes éduquées, ce qui au 19ème siècle correspondaient essentiellement à des classes aisées, c’est à dire des notables (curés, notaires, hauts fonctionnaires). Les femmes y étaient rares : aucune femme parmi les membres fondateurs de la Société Préhistorique Française en 1904 et seulement 3 sur 180 membres l’année suivante ! Leurs membres vont souvent s’appuyer sur des informateurs locaux, s’appropriant leurs découvertes par l’achat et constituant ainsi d’immenses collections. C’est ainsi que vont se mettre à circuler des faux archéologiques fabriqués notamment par des gens de classes défavorisées (par exemple Edward Simpson, dit Flint Jack) mais aussi des objets exotiques venus des colonies et francisés en certaines occasions, compliquant l’exploitation de ces collections encore aujourd’hui. Notons au passage que l’archéologie expérimentale dont se gargarise l’actuelle profession a débuté finalement dès les premières découvertes archéologiques un peu par hasard avec la fabrication de ces faux et étaient le fait d’ouvriers, manuels. Ce sont les sociétés, souvent locales, qui feront l’archéologie bon an mal an jusqu’à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale et l’implacable institutionnalisation qui se mettra en place avec la validation de la loi vichyste de Carcopino en 1945. En effet, la mise en place progressive du ministère de la Culture, qui dotera ses « agents » de pouvoirs énormes, va conduire à la déstabilisation des sociétés savantes et le renforcement des pouvoirs

académiques et scientifiques entre certaines mains autorisées (en cela la circulaire de 1946 de la Direction des Antiquités des Circonscriptions Archéologiques de Bretagne est éloquente). L’État entend reprendre clairement en main l’exploitation de son patrimoine culturel, contribuant à professionnaliser et en cela à stériliser les praticien-nes de l’archéologie préhistorique.

La situation s’accentue avec l’essor des grands travaux dans les années 80, en parallèle de l’émergence de voix critiques au travers de la revue Les Nouvelles de l’Archéologie (1979), portée par des archéologues marquées par Mai 68. Pour sauver ce qui peut l’être alors que le cadre législatif protégeant ce patrimoine est faible et alors que dans le même temps une bonne partie des sociétés savantes finissent de péricliter progressivement pour n’être maintenant que très anecdotiques, l’État va pousser à la création de l’Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales (AFAN) en 1973. Association type 1901, son conseil d’administration sera composé de 14 membres, dont sept venant du Ministère de la Culture et un de celui des Finances : mélange des genres absolument effarant.

Plus tard, ce statut administratif problématique, les travaux de terrain compliqués avec les aménageurs et l’accroissement en nombre de son personnel (précaire puis peu à peu déprécarisé via les Prud’hommes) vont mener à une refonte complète du système avec la création de l’Institut pour la Recherche Archéologique Préventive (INRAP) en 2001, suivi de l’ouverture des fouilles archéologiques préventives aux entreprises privées en 2003, suite à des problèmes budgétaires de l’INRAP récurrents et à un lobbying libéral important de la part de nombreux députés, dont P. Méhaignerie. A partir de là, les diagnostics archéologiques sont intégrés aux travaux préalables avant la réalisation d’un projet de construction et sont réalisés par des organismes de droit public tel que l’INRAP ou une collectivité territoriale. Ce diagnostic donne lieu à un rapport qui sera soumis à l’État via le Service Régional d’Archéologie (SRA) et discuté au sein d’une Commission Interrégional de la Recherche Archéologique (CIRA). Le SRA prescrit alors ou non une fouille en encadrant sa méthode, sa durée, etc, ce qui constitue un appel d’offre auxquelles répondent l’INRAP, les collectivités territoriales ou une entreprise privée (agrémentée par l’État). Tous ces acteurs vont conduire à un appel d’air et à la création massive d’emplois dans la première décennie des années 2000, mais aussi progressivement à une uniformisation des travaux de terrain, certes exigée par l’État et sa bureaucratie, mais stérilisant plus encore les travaux. C’est ainsi que les « archéologues » se multiplient, travaillant tous pareil, abordant les structures archéologiques de la même manière, en se posant le moins de questions possibles ; la « recherche » au sens strict est réservée aux universitaires qui eux « ont le temps de la pratiquer » (propos entendus). On peut parler maintenant d’une véritable taylorisation de l’archéologie, avec ce que cela induit d’appauvrissement dans la réflexion alors même que se multiplient les découvertes, parfois spectaculaires. Aujourd’hui, les étudiants suivent une filière « archéologie », pour devenir « archéologue » et enchaîner les tranchées et les structures une à une sans réflexion, espérant peut-être au mieux devenir un jour responsable d’opération, ce qui les autorisera alors à orchestrer les diagnostics ou les fouilles et rédiger les rapports sans guère plus de réflexion. C’est ainsi que l’État par sa volonté normative a réussi à faire de la recherche en archéologie une activité sans passion et vide de sens.

Vers un autre futur à l’archéologie ?

Dans les années 70, P. Gouletquer avait perçu l’ensemble de ces problématiques et l’évolution à venir et dans un ouvrage percutant, Préhistoire du futur (Bretagnes, 1979 ; réédition Préhistoire du Futur. Archéologies intempestives du territoire, Ed . Anarcharsis, griffe essais, 2022), avait ébauché quelques pistes pour sortir l’archéologie préhistorique de l’ornière où elle s’était enfoncée. Parmi les pistes proposées, la réhabilitation encadrée de tou(te)s ses passionné(e)s de Préhistoire et d’autres sujets regroupés au sein de clubs ou de sociétés ; le tout encouragé par une véritable éducation populaire. Cet ouvrage est toujours d’actualité à l’heure où l’archéologie préhistorique nécessite un vrai réenchantement.

Gwenolé KERDIVEL