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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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III – « Nous sommes la société »
Article mis en ligne le 28 novembre 2022
dernière modification le 30 novembre 2022

Vers un socialisme ouvrier ?

La fédération des syndicats Solidarność s’organise sous forme territoriale : (MKZ locaux et régionaux), non par branches professionnelles. La « Commission nationale de coordination » (KKP) mise en place ne sera élue que plus tard, au Congrès de Gdansk.

La démocratie ouvrière est partout présente : délégués élus par secteur ou atelier, contrôlés et révocables (plus de 20 % seront remplacés), suivi des réunions avec la direction (radio de l’entreprise ou cassettes enregistrées) et des réunions syndicales à tous niveaux.

Fleurissent feuilles d’entreprise, bulletins, journaux muraux, journaux sonores, qui s’échangent dans une région et entre régions.

Des universités ouvrières ouvertes à tous s’ouvrent, y compris dans des petites villes : rappel des grandes révoltes ouvrières, en Pologne, dans les autres pays de l’Est et des pays européens.

Un immense espoir se fait jour autour d’une forte conviction : « Nous sommes la société ».

« La classe ouvrière a une chance réelle de réaliser un socialisme ouvrier et une démocratie des travailleurs », bulletin Solidarność entreprise EMA de Lodz.

Tout l’hiver 1980 les conflits se multiplient, des grèves sauvages éclatent.

Le gouvernement revenant sur certaines promesses, une grève générale d’avertissement d’une heure est organisée le 3 février 1981, ce qui inquiète ceux qui craignent un affrontement direct avec l’État :

« La situation est dangereuse. Nous avons besoin d’unité nationale. Pour ce faire, nous, gouvernement et ouvriers, devons faire route commune, tous unis dans l’intérêt du pays. Nous, ouvriers, tendons donc la main au gouvernement  », Walesa.

«  Ce qui était important, c’était que les soviétiques n’aient pas de prétexte pour intervenir, comme ce fut le cas en Tchécoslovaquie en 1968 », Bogdan Borusewicz, membre du KOR.

« {} Conformément aux accords de Gdańsk, notre syndicat est apolitique. Ce qui veut dire que la politique et l’organisation du pays appartiennent au gouvernement et au Parti », Zbigniew Bujak, MKS de Mazovie (Varsovie), lié au KOR.

Karol Modzelewski, porte-parole de Solidarność, a un autre avis, qu’il rappellera plus tard :
« La révolution ne rentre pas dans les formules rationnelles des politologues car elle est un état d’esprit collectif de grandes masses humaines. Il pousse sur un quotidien difficile et installé depuis longtemps ; or, tout à coup, cet état d’esprit conformiste se transforme en son contraire et devient un acte d’auto-libération mentale. Une fois que de larges masses font cela, c’est un mécanisme social impossible à brider ».
« Ceux qui ont adhéré au syndicat ont créé ce maillon, ils se sentaient pour la première fois auteurs de quelque chose de nouveau dans la société, et ils n’ont jamais permis qu’on leur enlève ce rôle de créateurs. Et pas seulement au commencement, ç’a été comme cela jusqu’au bout
 ».

Cogérer la crise ou autogérer la société ?

La crise s’aggrave, la production industrielle et agricole continue de baisser, un rationnement est imposé. La population pousse Solidarność à intervenir dans le domaine économique. Mais les militants se méfient : « On nous appelle à la cogestion et à la coresponsabilité. Nous ne voulons pas, avec notre participation, servir de couverture aux fautes de la direction », un responsable MKS Varsovie.

Mars 1981 : Solidarnosc organise une conférence sur l’autogestion préconisant l’élection de conseils ouvriers dans les entreprises : « Le conseil ouvrier d’autogestion pour lequel il vaut la peine de lutter, c’est un conseil qui aspire à constituer une structure nationale qui reprendrait en main le pouvoir économique ». Alors qu’un sondage montre que 90 % de la population est favorable à la mise en place de l’autogestion par Solidarność, des conseils d’autogestion apparaissent dans les usines :
« Si l’on ne commence pas rapidement à mettre en place des structures de coordination des conseils au niveau régional et national, le mouvement autogestionnaire sera vite étouffé », un militant de l’aciérie Huta Warszawa.

Des lieux d’échanges de pratiques et de réflexions se mettent en place :
→ 17 mars 1981 : le «  Réseau des grandes entreprises  » réunit 18 d’entre elles. L’objectif est de se réapproprier le pouvoir économique, en préservant la liberté revendicatrice du syndicat :
« Solidarność doit être indépendant de l’autogestion afin que le système auto-gestionnaire puisse éviter les dangers qui n’ont su être évités en Yougoslavie ».
Dans l’entreprise : « impulser la création de comités d’autogestion qui seront la base de toutes les actions réformatrices de l’économie nationale.  ».
« L’ensemble des employés dispose des biens de l’entreprise, fixe les lignes générales de son activité et de son développement et décide de la répartition des profits ».
Le conseil doit être totalement indépendant des partis, des syndicats et de l’administration de l’entreprise ».
Dans la société : «  L’énorme pouvoir économique est concentré dans les mains de l’appareil du parti et de la bureaucratie. Le programme du Réseau prévoit l’introduction d’un système de démocratie socialiste dans le pays. La structure de l’organisation économique qui sert de système de commandement doit être démantelée. Il est indispensable de séparer l’appareil administratif économique du pouvoir politique ».

→ 12-13 juillet 1981 : création du «  Groupe de Lublin  » à l’issue de la «  Rencontre inter-régionale de Comités constitutifs d’autogestion, de Conseils ouvriers, de directions régionales et de commissions d’entreprise de Solidarité sur le thème de l’autogestion ouvrière ». Un millier de militants échangent sur les expériences autogestionnaires réalisées notamment dans les régions de Lublin, Lodz, Katowice, Varsovie, Poznan, Wroclaw et Plock. Des coordinations régionales et un centre d’information national sont préconisés pour réaliser ce que revendiquent les affiches : « Tout le pouvoir dans les entreprises aux mains des conseils de travailleurs », « Tout le pouvoir économique aux conseils ».
13 septembre 1981 : une seconde rencontre apporte des précisons : « Ce mouvement émane de la classe ouvrière dans son ensemble. Il constitue un puissant front de solidarité de tous les travailleurs qui se radicalisent progressivement. Ils s’efforcent de mettre en place leur propre ordre économique, législatif et politique, sur des bases véritablement socialistes. Le programme pour la socialisation du travail implique l’appropriation collective des moyens de production, de la gestion de l’économie nationale, des structures et des organismes de l’appareil d’État. Les « experts » du syndicat ne perçoivent pas la nécessité de créer, à l’échelle des régions et de tout le pays, des rapports non institutionnalisés entre les conseils ouvriers  », Michal Kawecki.