Michael PARAIRE [1] et son défi « sur-anarchiste » [2]… |
Pour Paraire, « M. Onfray » symbolise l’une des formes les plus inacceptables de l’idéologie dominante, de la pensée confuse distillée par le capitalisme et par toute cette civilisation d’une pseudo-jouissance. Une pensée qui contribue à masquer les malheurs, la détresse et le mal de vivre qui existent partout sur la planète. Une pensée postmoderne qui fournit un concentré « de fausseté, de toc, une inauthenticité de pensée… »
Si Onfray, en postmoderne assumé, déconstruit tout en refilant « certaines recettes et analyses erronées issues de l’anarchisme individualiste », Paraire les récuse au nom d’un anarchisme « collectif ». Il dénonce le projet "onfrayen" de révision de l’histoire de la philosophie, de l’histoire révolutionnaire et de la doctrine anarchiste.
Si, malgré cela, certains tirent un signe de « joyeuse folie » au sein du foisonnement onfrayen, Paraire n’y voit que « la cohérence d’un projet de réécriture de la pensée totalement erroné ». Il précise :
« Je ne crois donc pas que le fait d’introduire des éléments de savoir scientifique dans la philosophie soit dangereux, sauf à considérer que le savoir est dangereux . Or si le savoir est dangereux cela implique que c’est l’ignorance qui nous protège. »
En parlant de sur-anarchisme, Paraire pense en premier lieu à l’œuvre de Proudhon. « Le père de l’anarchisme » s’est employé lui-même à œuvrer en destructeur -critiques de la religion, du capitalisme, de la propriété privée- mais dans le même temps il a œuvré en constructeur avec l’élaboration des théories mutualistes, fédéralistes etc.
Il ne s’est pas contenté de détruire, il a aussi voulu construire.
Paraire essaye, à son échelle, de faire la même chose quand il précise que « lorsque l’on critique quelqu’un ou quelque chose de manière radicale, il faut se montrer soi-même capable de proposer quelque chose d’autre. Sinon c’est un peu stérile. C’est aussi une question d’honnêteté intellectuelle... »
En rejetant la quête dé-constructrice "onfrayenne", passablement défragmentée et hédoniste, qui ne peut changer quoi que ce soit dans une trajectoire et un quotidien militant engagé, Paraire propose un sur-anarchisme qui s’inscrit dans les traces du « programme de Kropotkine », programme qui consiste à opérer la synthèse entre les sciences de la nature et les sciences sociales. Il écrit que « c’est la conscience individuelle et collective qui donne le sens en définissant un nouveau projet et en favorisant les moyens concrets qui permettent d’aller dans telle direction plutôt que dans telle autre. C’est elle qui est la clé de tout processus de changement révolutionnaire. »
Le postmodernisme, quelle que soit la forme qu’il prend, "dure" ou "light", règne à partir de la défragmentation des théories de la connaissance et de la confusion qu’il distille dans le discours philosophique contemporain.
Paraire ajoute « Il faut abandonner l’hédonisme postmoderne, post-anarchiste, post-je-ne-sais-pas-quoi et il faut se lancer dans la lutte sociale . Ça me semble être la tâche primordiale de la période dans laquelle nous nous trouvons. »
Si, dans la période, les consciences, et à la suite, les comportements, sont formatés, manipulés, conditionnés par des outils très puissants, la télévision entre autres, il n’en demeure pas moins qu’« il y a des signes qui montrent que la pensée anarchiste n’est pas morte. Elle est encore capable d’influencer la politique, au point qu’on réfléchit beaucoup sur l’idée d’autogestion ou sur l’économie coopérative. »
Quant à la transformation attendue, espérée, il est évident que seul un mouvement de masse pourrait l’opérer.
Irène PEREIRA, propose une analyse critique de « l’anarchisme aujourd’hui » [3] |
Dans ce mémoire de maîtrise réalisé à partir des travaux de Daniel COLSON, Vivien GARCIA propose une thèse au sein de laquelle, il défend le principe que « les auteurs classiques de l’anarchisme devraient être rattachés à la modernité philosophique au profit d’une lecture postmoderne de ces auteurs ». Garcia s’attache à défendre un postmodernisme teinté de post-anarchisme, un syncrétisme tiré de deux approches qu’énormément de choses opposent.
D’emblée, Irène Pereira pose la question de la situation de l’anarchisme par rapport aux positions philosophiques issues de la modernité et celles issues de la postmodernité.
Elle constate que la « philosophie moderne » du sujet consiste à fonder le discours non pas sur l’Etre, mais sur le Sujet. Elle écrit que la position de Garcia qui pense « que l’Etre est en constant changement », pose problèmes et, elle en déduit que « Si l’Etre change de façon constante, alors il n’est pas possible de prédiquer [4] quoi que ce soit de constant à son sujet ». Un exemple : quand García parle de la question du pouvoir chez Foucault [5], il en souligne explicitement une réelle limite. Il énonce cette contradiction de la manière suivante : « c’est que la philosophie de l’omniprésence disséminée des micro-pouvoirs semble rendre impossible toute remise en cause du pouvoir . Mais surtout, si toute relation est en même temps une relation de pouvoir, comment est-il possible d’envisager des relations qui ne soient pas des relations de domination ? »
Irène Pereira, à la suite de Garcia, cite Kropotkine , chez qui « l’éthique se distingue de la morale, non pas parce qu’elle est une recherche du plaisir qui ferait abstraction d’autrui, mais parce qu’elle ne se fonde pas sur une transcendance, [mais] parce qu’elle est immanente au caractère relationnel de l’existence des êtres vivants. »
Arrivant aux termes de son article, Elle écrit, à propos des auteurs du post-anarchisme, qu’ils considèrent que le pouvoir ne serait pas concentré dans les mains de certains et dans des lieux précis, mais serait immanent à toute relation. Ainsi, ils proposent le repli sur « le souci de soi » (l’individualisme postmoderne), qui n’est pas sans lien avec l’abandon de la dimension sociale pour adopter une conception libérale-libertaire.
Il faut rappeler, comme le fait Irène Pereira, que « …le discours autour de la différence a subit une récupération au début des années 80 par la nouvelle droite autour d’A. De Benoist. »
Ces dérives semblent liées aux faiblesses conceptuelles des théories postmodernes…
Irène Pereira, citant V. Garcia, parle des T.A.Z. [6] , dans le cadre du renouvellement des pratiques libertaires liées aux théories postmodernes. Avec les TAZ, (pratique postmoderne), il ne s’agit plus de postuler à
« (…) une transformation globale de la société, mais à mettre en œuvre un espace de liberté temporaire dans lequel se retrouve un groupe d’individu lié plutôt par des relations affinitaires. »
« Il s’agit ici d’ anarchisme style de vie , matinée de pratiques insurrectionnelles minoritaires, plutôt que d’une forme d’anarchisme social. »
Elle poursuit, en écrivant que de telles pratiques prennent
« des formes (…) élitistes dans laquelle une minorité se constitue en une microsociété artificielle en marge de la société. Cette forme d’association ne vise pas à s’adresser et à intégrer le plus grand nombre. »
Pour conclure, Postmodernisme : effet de mode ou nouveau modèle ? |
Il est essentiel de rappeler que la notion de postmodernisme ne fait pas l’unanimité des "chercheurs". Ceux qui critiquent ce concept le taxe d’ « effet de mode » . Il est un fait certain : les travaux qui se rapportent au postmodernisme, sont considérés comme extrêmement indigents, du point de vue de la méthode.
Souvent « commentaires de commentaires s » ils ne suffisent pas à en faire de véritables grilles de lecture. Ils permettent encore moins de classer les évènements socio-économiques actuels.
Le postmodernisme ne constitue pas une interprétation globale du changement dans les sociétés avancées. Des critiques peuvent très souvent lui être opposées. Ainsi, les sociologues de la postmodernité accordent une importance excessive à « la consommation en tant que moteur de changements socio-économiques ».
Toujours selon eux, le « consommateur individualisé », confronté à une offre de plus en plus diversifiée et changeante, ne pourrait plus maîtriser l’information nécessaire à ses arbitrages. La culture se substituerait alors, et lui fournirait les repères indispensables…
La culture en question n’est rien d’autre que l’ensemble des « socio-styles » [7] maniés par la publicité et le marketing. Rien ne prouve qu’ils correspondent à quoi que ce soit dans les déterminations des consommateurs.
De fait, il s’agit à la fois d’une véritable évolution sociétale et d’un simple phénomène de mode !
Repenser l’anarchisme ?
• Le courant post-anarchiste, faisant suite au postmodernisme, est lié au cycle actuel de reflux des luttes révolutionnaires. Le pessimisme et le défaitisme alimentent ainsi ces théories de la résignation et de l’accommodement avec l’ordre marchand . Dans un contexte où le doute règne en maître, le projet révolutionnaire s’en trouve largement ébréché. « Le projet d’un changement global de société est désormais assimilé à un totalitarisme … » A côté de cela s’est ouvert un cycle d’expérimentation, de résistances et de créations. La société marchande et étatique, le système capitaliste, demeurent traversés par de multiples rapports de pouvoirs. Ces derniers s’imposent tant au niveau global qu’à l’échelle de la vie quotidienne.
Si l’émancipation des minorités, la pluralité des oppressions et la multitude des luttes ne peuvent ni ne doivent être occultées, il semble indispensable « d’articuler l’affirmation des subjectivités radicales avec la création d’une nouvelle communauté humaine égalitaire et libertaire. »
Le projet révolutionnaire pourrait ainsi se construire aujourd’hui, à partir de la multiplication et l’articulation des luttes qui visent à transformer le monde et à changer la vie ici et maintenant. La nécessité de favoriser les « pratiques marginales », nécessite d’y poser deux conditions :
« Elles se doivent d’être diffusées progressivement à l’ensemble de la société »
et
« les expérimentations, doivent s’accompagner d’un projet révolutionnaire . »
Seules les luttes sociales peuvent permettre de changer la réalité matérielle et, à travers leurs multiplications et leurs convergences, proposer une véritable rupture révolutionnaire.
Les minorités aussi diverses qu’elles puissent être, ne peuvent se libérer qu’ « en balayant l’ordre capitaliste pour créer une nouvelle société commune sans exploitation ni domination. »
En fonction de cela, les minorités et les opprimés doivent se fédérer de « manière autonome » plutôt que de cultiver leur petite spécificité…
Toute approche qui tend à considérer que la querelle des « Anciens et des Modernes » se joue aujourd’hui entre « Modernes et Postmodernes », ou plus exactement entre « anarchistes dits " fossilisés " » et « Anarchistes " new-look " », nous renvoie malheureusement à un abandon en rase campagne des spécificités et des fondamentaux de ce qui fait pourtant la spécificité de l’anarchisme social.
Il est nécessaire de refuser avec la plus grande détermination l’entreprise de démolition proposée par les « Post-tout », laquelle, sous couvert de droit d’inventaire, s’adonne plutôt à ce que nous pourrions qualifier d’entreprise révisionniste…
Edward Sarboni